Clément Urrutibéhéty: Les donats (ez ateratzen)
Les
communautés de donats
Clément
Urrutibéhéty
Gure
Herria, 1958eko urria-4
«Il
n’y a dans tout le royaume, écrivait l’intendant Le Bret au
début du XVIIIe siècle à propos de la
Basse-Navarre, ni chapitre, ni couvent d’hommes, ni de filles».
Les communautés religieuses monacales étaient en effet inconnues en
Basse-Navarre. Elles vivaient à son pourtour, à Lahonce, en
Labourd, à Arthous et à Sorde dans la diocèse de Dax, à
Saint-Sever en Gascogne, en Béarn, à Roncevaux en Haute-Navarre.
Leur influence s’est cependant exercée en Basse-Navarre,
spécialement celle de Sorde. Des échanges se sont établis avec les
moines bénédictins de l’abbaye Saint-Jean-de-Sorde, facilités
par la situation de l’abbaye sur la voie principale de pénétration
dans le royaume de Navarre, de Dax à Pampelune, et par
l’appartenance commune de Sorde et des pays de Mixe-Ostibarret au
diocèse de Dax, jusqu’au Concordat de 1801.
Les
possessions désignées dans le Cartulaire de Saint-Jean-de-Sorde au
XIIe siècle, s’étendaient en Mixe et Ostabarret, aux
églises Saint-Sébastien de Beirina à Biscay, Saint-Félix de
Garris, Saint-Julien de Beyrie, Saint-Martin d’Orsanco,
Saint-Saturnin de Gensane (maison Gencena d’Orsanco), ainsi qu’à
une chapelle de Saint-Just.
Des
Bas-Navarrais, outre leurs biens, donnaient leur personne à Dieu et
à Saint-Jean-de-Sorde, d’autres leur fils comme moine, d’autres
un paysan, c’est-à-dire un domaine avec celui qui l’exploitait.
Des contrats prévoyaient en contrepartie le couvert, la garde d’un
enfant malade… La sépulture à l’abbaye était très demandée.
A maintes reprises, pour mettre un terme à des contestation
d’héritiers, des indemnités pécuniaires sont versées par
l’abbé.
*
Ce
que l’on trouve en Basse-Navarre, ce sont des établissements
hospitaliers nombreux, créés à la faveur de l’élan généralisé
du pèlerinage de Saint-Jacques en Galice, sous l’égide de l’ordre
des Prémontrés, des chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem ou de
Malte, des Augustins, ainsi que des institutions particulières de
conception différente.
Le
prieuré-hôpital de Behaune s’était vu confié dès sa création
aux Prémontrés de Lahonce. Les chevaliers de Malte possédaient les
deux puissantes commanderies d’Aphat-Ospital et d’Irissarry. Les
Augustins de la collégiale Notre-Dame de Roncevaux exploitaient, par
l’entremise des commandeurs, d’importants domaines agricoles,
commanderies doublées d’un hôpital, implantées dans la pays de
Cize, à Saint-Michel, à Mocosail de Lasse, à Errecaldia de
Bussunarits, à Arsorits de Saint-Jean-le-Vieux, auxquelles
s’ajoutaient celle de Bidarray dans la vallée d’Ossès,
d’Ordiarp en Soule, de Bayonne, de Bonloc en Labourd, celle non
identifiée d’Alçu, et d’autres encore au-delà du Pays Basque.
Les
revenus en étaient distribués à Roncevaux, un tiers pour le
prieur, un tiers pour le chapitre, le dernier tiers réservé aux
pauvres et aux pèlerins. Mais la plupart des institutions
hospitalières destinées à l’hébergement des pèlerins (nous en
avons dénombré une vingtaine dans le seul pays Mixe-Ostabarret),
les prieurés-hôpitaux en particulier, plus intimement et plus
directement associés à cette assistance, formaient des communautés
originales assez répandues en Pays Basque. A la tête du
prieuré-hôpital, un prieur, curé primitif du lieu, entouré de
quelques benoites et donats. L’institution des benoites, sœurs ou
béates, était généralisée et connue dans chaque paroisse et
annexe. Les donats, au nombre de six au prieuré-hôpital d’Utziat,
étaient des laïcs engagés au service de l’hôpital et du prieur.
Ils élisaient le prieur. Le prieur choisissait à son tour les
donats.
Ces
donats, ou condonats, ou frères donats, donati ou condonati,
participaient à l’action du prieur, donnés au service des
pèlerins, voués ensemble à la marche de la communauté
hospitalière. Ils avaient quelque part aux offrandes. Ils habitaient
des maisons à l’entour de l’établissement de soins. C’étaient
de véritables patrons laïcs, successeurs, a-t-on suggéré, des
moines de l’Église naissante au Pays Basque, liés par le vœu de
chasteté viduale, c’est-à-dire qu’ils ne pouvaient se remarier
après veuvage. Ils jouissaient des avantages des présentateurs
laïcs et élisaient en conséquence le prieur.
*
L’organisation
des principaux prieurés-hôpitaux d’Utziat, d’Haranbeltz et de
Saint-Palais était analogue, d’après le témoignage de
l’intendant Le Bret, et ce type de communauté formé du prieur et
des donats devait se propager, pensons-nous, à la plupart des
hôpitaux basques. Tel est le cas du prieuré-hôpital d’Ainharp
en Soule, sur la vieille route de montagne de Licharre (Mauléon) à
Saint-Palais.
Sept
donats entouraient le prieur. Leurs maisons se groupaient autour de
l’hôpital, aujourd’hui disparu, dont les vestiges ont été
signalés un peu au-dessus de l’église actuelle. La liaison de
voisinage et liaison d’engagement dans une véritable équipe
hospitalière. L’on retrouve encore ces anciennes maisons de
donats, à une exception près, autour du clocher du village. Un
document tiré des manuscrits d’Athanase Belapeyre, curé de
Chéraute, vicaire général et official, les désignait ainsi:
«Gohenetche, Borde, Etcheberri, Cases, Peralt, Etchevers, Elissalt
du dit lieu d’Ainharp».
Du
groupe, seule a disparu aujourd’hui la maison Elissalt. Quant à la
maison Gohenetche, elle a subi un renversement morphologique de fond
en comble, d’où est issue la maison Etchegohenia, appellation du
presbytère actuel. On peut dire, sans forcer la réalité,
pensons-nous, que la communauté des donats d’Ainharp, dont les
maisons de la place perpétuent le souvenir, a constitué le foyer
attractif, et sans doute le foyer d’origine de la communauté du
village, proposition qui rejoindrait l’hypothèse du Pr Elie
Lambert sur l’origine jacobite de certaines communautés
villageoises en Pays Basque.
*
Un
autre exemple d’implantation jacobite suivant le mode communautaire
prieur-donats se voit en Ostabarret à Haranbeltz. La structure
primitive d’Haranbeltz n’a guère varié au cours des siècles,
dans ses éléments de base. Ce hameau vit replié sur lui-même, à
l’écart de la Bidouze et de la route de Saint-Palais à
Saint-Jean-Pied-de-Port, autour de l’ancienne chapelle prieurale.
Deux maisons de chaque côté du vieux chemin jacobite de
Saint-Palais à Ostabat, quatre familles et leur chapelle
Saint-Nicolas, sont l’abrégé de huit siècles tournés vers
l’unique affaire du pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle.
Le
23 pluviose an III, la maison où logeait l’ex-prieur d’Haranbeltz
et la maison affectée aux indigents étaient adjugées pour 5000
livres aux citoyens Arnaud d’Etcheverry, Arnaud Etcheto, Jean Salla
et Jacques Borda. Ces quatre noms sont ceux des quatre maisons du
hameau. Ils se rendirent acquéreurs d’immeubles dépendant de
l’ancien hôpital fondé par leurs propres ancêtres, selon une
tradition recueillie par M. Maurice Vivier, auteur d’une plaquette
sur les «biens nationaux du district de Saint-Palais».
Il
existe des documents pour relayer la tradition, pour désigner ces
mêmes quatre famille aux offices du prieuré-hôpital, comme elles
l’ont été à sa fondation et au feu des enchère
révolutionnaires. Ils disent que les frères donats de l’hôpital
appartenaient à ces maisons. En 1624, Pierre d’Uhart est élu
prieur par François, sieur d’Etcheverry, Guillem, sieur de Borda,
et Arnaud, sieur de Borda, réunis dans l’église d’Haranbeltz en
leur qualité de condonats ou frères donats de l’hôpital, pour
remplacer Pierre de Reten. En 1667, Pierre d’Uhart, âgé, donne sa
démission le 12 février, et prie les frères donats de lui donner
pour successeur Jacques d’Uhart, son neveu. Le lendemain 13
février, Joannes, sieur de Borda, Charles, sieur d’Etcheverry et
Arnaud, sieur d’Etcheto, patrons laïcs du dit prieuré en qualité
de donats de l’hôpital, nomment le dit Jacques d’Uhart qui
depuis six ans exerçait les fonctions de vicaire (1).
Un
millénaire de fidélité va bientôt sonner pour la famille
Etcheverry, enracinée dans sa maison souche, voisine du cimetière
de la chapelle, et contiguë jadis à la Maison prieurale. Une date
est scellée en façade, au-dessus de la porte d’entrée en plein
cintre:
Maison
bâtie en 984
Rebâtie
par Arnaud Detcheverry et
Jeanne
Anchie maître et maîtresse
Anno
1786
L’hôpital
Saint-Nicolas d’Haranbeltz est cité en 1039 dans une donation de
Lop Eneco, vicomte de Baigorry. Et il est probable, comme le suggère
Colas, que la date de 984 corresponde à la construction du
prieuré-hôpital. Elle doit refléter un évènement important dans
l’histoire de la famille Etcheverry, et l’évènement le plus
mémorable paraît bien être cette fondation ancestrale, cette
création d’une communauté hospitalière de donats.
(1)
D’après l’abbé Larramendy, curé de Garris. Cf. Les prieurés
et frères donats d’Ainharp, Saint-Blaise, Utziat et Haranbeltz
par Daranatz. Bulletin de la société de sciences lettres et arts de
Bayonne, octobre-décembre 1938.
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