Hilarriak, atalburuak: Isabelle Thévenon, Jean Etcheverry-Ainchart, Lucien Etxezaharreta/Isabel Thevenon




Argazkiak: Azkonbegiko hilarri guztiak ikusteko





Argazkiak: Landibarreko San Martin parropiaren 

hilarri guztiak ikusteko




Argazkiak: Behauneko hilarri guztiak ikusteko



Tailleurs de pierre de Lantabat
de la stèle au linteau, du cercle au rectangle

Isabelle Thénenon
Extrait de Hil harriak, Actes du colloque international sur la stèle discoïdale,
Musée Basque de Bayonne, 8-10 juillet 1982. Amis du Musée Basque, 1984. Pages 191 à 195.

Introduction
A. — Evolution du lapidaire
On remarque une évolution dans la travail du lapidaire à Lantabat qui va dans le sens stèle, croix, dalle, linteau, plaques de fourneau (haustegi) et de cheminée: le funéraire puis le domestique, avec des périodes de cohabitation. Vu te temps qui m’est imparti, je me contenterai de traiter le lapidaire funéraire: les relations stèles/croix, ou plutôt les cassures qui vont de l’une à l’autre, de l’autre à l’une.
B. — Le geste du sculpteur
Ce qui est primordial lorsqu’on étudie une production artistique et ce qui ma passionne, c’est essayer de serrer de près le geste du sculpteur au travail, c’est-à-dire sa pensée. Les sculpteurs basques ont simultanément pensé la stèle, pensé la croix, pensé la dalle, le linteau, puis les plaques de fourneau et de cheminée.
L’évolution stèle/croix doit être considérée comme une cassure, le talent des sculpteurs vient de leur faculté d’adaptation à l’imposition de la croix comme forme et comme symbole.

I — Dans le cercle, sur la croix
La question est donc: comment le sculpteur qui créait dans un cercle a-t-il pu créer sur la croix? Symbole du monde chrétien, la croix s’est imposée formellement en substituant à la pensée circulaire, un, parmi les multiples principes de la stèle: le principe orthogonal. Du cercle à la croix, c’est donc la structure qui change: je pensais rond, je dois penser axes. Je parlais basque; je dois parler français, même si je ne pense pas en français.
A quoi peut-on s’accrocher? Qu’est-ce qui peut témoigner d’un art, de la pratique du sculpteur lorsque sa main qui travaille doit penser angle droit et supprimer de son langage l’essentiel de son expression?

II — Vocabulaire de la stèle
Seul le vocabulaire reste intact. Eléments fusiformes, motifs rayonnants, instruments, animaux, etc. La croix va donc emprunter à la stèle son vocabulaire, l’intégrer de différentes façons, par exemple en agglutinant des motifs circulaires et rayonnants sur l’envergure.

Le sculpteur conçoit à la fin du XVIIIe siècle dans l’esprit de la stèle, tout en transcrivant; certaines croix sont des stèles sans quartiers, on y retrouve presque la structure de la stèle. C’est le moment de cohabitation et d’influence mutuelle stèle/croix, croix/stèle, de cohabitation effective dans l’esprit du sculpteur qui crée simultanément stèle et croix selon les commandes, cohabitation aussi dans les cimetières.

III — Un exemple de stèle réalisée dans l’esprit de la croix
Exemple d’une stèle réalisée dans l’esprit de la croix, la stèle de Catharine Demate à Ascombéguy, est unique en son genre et située à l’inverse de ce que je viens d’expliquer. On peut la qualifier de néo-basque car elle est la seule stèle, datée du XVIIIe siècle à Lantabat, mise à part une stèle qui date de 1801. Cette pierre est émouvante, dernière trace des commandes de stèles à Lantabat, elle nous montre la volonté du sculpteur de créer dans un cercle, alors que la stèle est définitivement détrônée par la croix.

Face B
On reconnaît les bras de la croix illustrés par des motifs alignés, le sommet de la stèle orné d’un IHS dessiné dan l’esprit «haut de croix», et les ciseaux placés «à cheval», c’est-à dire à six heures.
Six heures, c’est l’espace de transition disque/pied, c’est surtout une zone très importante qui a souvent été très travaillée et avec beaucoup de force et d’imagination dans tout le Pays Basque. Ici les ciseaux sont tout simplement «à cheval» pas tout à fait sur le pied et pas tout à fait sur le disque. Ils séparent plus qu’ils ne relient, voire même ils dérangent.
Le haut, le milieu, le bas: ainsi a été conçue cette face de la stèle selon un rythme ternaire; trois parties distinctes, trois motifs rayonnants alignés, trois lettres (IHS).
Un des trois motifs, celui du milieu (à pales tournant dans le sans ses aiguilles dune montre), placé légèrement en dessous de l’axe horizontal, fait se décaler le centre, le cœur de la stèle, espace de rayonnement; il souffre d’être abaissé: la composition même de la stèle est déséquilibrée, elle pèse et tombe.
Face A
Les principes inhérents de la stèle ne sont pas respectés.
La bordure est trop large, le texte contenu : Catharine Demate débute à 8 h 40, habituellement, il commence à 7 h 35. Si on retire cette épaisse bordure, on cherche une organisation selon les axes horizontaux et verticaux, les bissectrices et les quartiers qu’ils distribuent. Elle n’existe pas; on trouve un motif fusiforme et central orienté légèrement à droite par rapport à V.
La date inscrite sur le pied marque 1739, le neuf est large et couché.
Cette face est plus proche tout de même de la stèle que de la croix.
Conclusion
A Lantabat, sur 175 monuments répertoriés, 44 sont datés du XVIIe siècle: 18 stèles, 8 dalles, 1 croix. Au XVIIIe siècle, nous avons 2 stèles, 7 dalles, 12 croix. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Une stèle, une croix, sont des objets sculptés autour desquels on tourne, On ne peut jamais voir les deux faces d’une stèle au même moment, on regarde successivement la face A, puis la face B. C’est ainsi qu’on les nomme pour les répertorier. Pour comprendre ce qu’est une stèle, il faut donc en voir au moins deux côte à côte.
Lorsqu’on dessine une stèle pour l’étudier, on réalise cet impossible: voir côte à côte le devant et le derrière, —s’il existe un devant et un derrière de stèle!—, c’est réunir l’est et l’ouest, le lever et le coucher du soleil, enfin décrire un cercle, celui de l’imaginaire du sculpteur qui a rêvé ensemble les deux côtés de l’œuvre.
On peut maintenant survoler la dalle, le linteau, la pierre de cuisine ou de cheminée. Ils appartiennent à un autre univers formel : le rectangle.
La dalle posée à terre horizontalise la mort, il existe de très belles dalles à Lantabat, leur étude diffère vraiment des stèles et des croix, ce ne sont pas des documents dressés.


Le linteau, art domestique, est en relation directe avec l’art funéraire, sa forme le rapproche bien entendu de la dalle, ce sont des «pages d’écriture» ornées, composées dans le format rectangulaire, en longueur pour le linteau, en hauteur pour la dalle. Ils utilisent les motifs des stèles et des croix, en particulier l’alignement. Leur fonction diffère: le linteau appartient à la porte puis à la façade de la maison, techniquement, il est la pierre qui permet au vide d’exister et à la lumière de passer: il est «utilitaire».


La pierre de cuisine ou haustegi située à l’intérieur de la maison sous la fenêtre de la cuisine est un objet qui «fonctionne». On y place les cendres chaudes de la cheminée par le trou prévu à cet effet. Au dessus, on prépare le repas. A Lantabat, toutes les pierres de cuisine sont conçues symétriquement par rapport à la verticale et les motifs peu variés n’ont rien à voir avec ceux de la stèle: palmes, feuilles de laurier, ciboires, etc., elles datent de la deuxième moitié du XIXe siècle.
Pour conclure: il semble que les sculpteurs de Lantabat aient mis leur imaginaire et ce, à partir du XVIIIe siècle au service de l’art domestique et que, de fait, l’art funéraire soit tombé en désuétude. Ceci est l’objet de ma thèse.

Brèves observations

sur un maître ayant travaillé

en Basse-Navarre

au milieu du XVIIe siècle

Jean Etcheverry-Ainchart
Association Lauburu

Extrait de Hil harriak, Actes du colloque international sur la stèle discoïdale,
Musée Basque de Bayonne, 8-10 juillet 1982. Amis du Musée Basque, 1984. Pages 191 à 195.

A l’occasion de la réalisation de l’inventaire complet des stèles du Musée Basque de Bayonne, en 1978, notre attention avait été attirée par la particulière élégance d’une stèle de Méharin déposée au musée, stèle que Louis Colas avait d’ailleurs répertoriée dans son livre, sous les numéros 518 et 519 (fig. 1). L’observation d’autres inventaires de l’association Lauburu et notamment celui d’Ascombeguy, «quartier» de la commune de Lantabat, devait nous permettre de reconnaître la même main dans d’assez nombreuses pièces parvenues jusqu’à nous (fig. 2; fig. 3; fig 4; fig. 6). On a pu retrouver en outre, à Saint-Etienne-de-Lantabat, deux pièces très intéressantes: une pierre tombale (fig. 7) et surtout une pierre de bénitier, unique à notre connaissance (fig. 8), toutes deux paraissant réalisées par le même maître.
Puis, en 1979 ou 1980, l’association Lauburu a exploité un certain nombre de clichés photographiques reçus dans le cadre d’échanges de documents entre l’association et l’université de Reno au Nevada (USA). Il s’agissait de clichés de toutes les pierres funéraires ou linteaux figurant dans le fonds Philippe Veyrin et Rodney Gallop acquis par cette université. Un bon cliché permit de dévoiler une pierre, disparue aujourd’hui, photographiée par Veyrin en 1950 à Suhescun (fig. 9). Cette pierre dont on ne connaît qu’une face, nous décida à étudier de plus près ce tailleur de pierre si attachant. La lecture attentive de Colas nous permit d’ajouter à cette liste un pied de croix (fig. 10). Nous hésitons à attribuer à ce maître la pierre numérotée fig. 11, provenant selon Louis Colas de Saint-Martin-de-Lantabat, disparue depuis. En fait, cette pierre a été retrouvée à Arcangues en 1981 et il nous a paru évident qu’il fallait la rapprocher, sinon l’attribuer au même maître. Enfin, un pied de stèle a été retrouvé à Méharin en 1981, et un nouveau disque à Saint-Martin-de-Lantabat, qu’il y a lieu d’attribuer sans doute au même artiste (fig. 12 et 13).
Quelles sont les indications que l’on peut tirer de l’observation de ces pièces? Comment travaillait un maître bas-navarrais bien déterminé, au milieu du XVIIe siècle?
A. — Le maître travaille dans une zone comprise entre les villes de Hasparren, de Saint-Jean-Pied-de-Port et de Saint-Palais. L’essentiel de sa production est concentré dans la vallée de Lantabat, relativement isolée de l’extérieur par quelques hautes collines. La passage vers l’extérieur se fait par le côté ouvert de la vallée, vers Saint-Palais, ou par les deux cols d’Ipharlatze et des Palombières. Les quatre «quartiers» d’Ascombeguy, Behaune, Saint-Martin et Saint-Etienne formant actuellement la commune de Lantabat, renferment à eux seuls dix pierres, si l’on comprend celle exportée à Arcangues (fig. 2-3-4/5-6-7-8-9-10-11 et 13). La pierre photographiée par Philippe Veyrin à Suhescun (fig.9) provient donc d’un village extérieur proche de la vallée et dans sa sphère d’influence immédiate, Suhescun étant le premier village à la sortie ouest de la vallée, en passant par le col des Palombières.
A l’inverse, les pierres 1 et 12, la première conservée au Musée Basque et la seconde par Lauburu, proviennent toutes deux de Méharin, village situé cette fois à la sortie est de la vallée. Le fait qu’il y ait au moins trois pierre réalisées pour ces villages peut être considéré comme le signe que ce maître a connu une notoriété certaine au-delà de son «pays», la vallée de Lantabat.
B. — Le maître travaille avec un certain nombre de caractéristiques bien précises qui le singularisent nettement des autres courants artistiques: il a une forte personnalité. Quelles sont ces caractéristiques?
1. — Dans la face A
Une écriture très élégante, identique d’une pierre à l’autre, avec une manière très personnelle de lier les lettres entre elles, de faire les pattes des lettres (les V, les D, les 6), en même temps qu’une mise en place toujours identique des cartouches de lettres sur le socle; la ponctuation est souvent soignée. Un texte souvent bi- ou trilingue, avec un usage généralisé du latin, ce qui semble tout à fait original, du moins dans l’état actuel de nos observations. La phrase est construite de la manière suivante: la forme «hic jacet» ou «obiit» ou «deficit», suivie ou précédée du nom du défunt en français et de la date en basque (fig. 1-2-4-7-9-10 et probablement 3 et 12). Cette mise en place du texte et cet usage des trois langues peuvent être considérés comme une véritable signature du maître.
Une datation complète: fig. 1-2-4-7-9-10 et probablement 3 et 13), probablement aussi fig. 3 et 12, mais pas la 11 qui est l’exception confirmant la règle.
Sur le disque et la pierre tombales et même sur le baptistère, une base de quatre affirmée par un élément carré occupant la plus grande partie de la surface, avec une mise en valeur fine et délicate de la base de quatre par des éléments décoratifs divers, insérés dans cet élément carré (fig. 1-4-6-7-8-9-13, la fig. 11 faisant aussi exception à la règle).
Autour et dans cet élément carré, nous trouvons des figures fusiformes, étoilées, rondes, destinées aussi bien à occuper l’espace de façon décorative qu’à souligner plus ou moins ouvertement les axes principaux ou secondaires ou à accentuer le base de quatre.
Autour du disque, aux régions 9-12-3, des excroissances finement travaillées (fig. 1-4-6-9-13, la figure 11 faisant encore exception à la règle).
2. — Dans la face B
Un rayonnement se déployant à travers une étoile régulière à cinq branches avec divers motifs losangés et motif décoratif marquant le rayonnement en O, et, sur le socle, une croix marquant l’axe V. Cette manière somme toute banale, de traiter la face B concerne les figures 1 et 11, avec forte probabilité d’un traitement identique pour les figures 2 et 3, dont les socles comprennent un pied de croix en escaliers, et pour la stèle 4/5. A propos de cette stèle, Louis Colas a mêlé sur la pierre de Pedro de Laco la face B de la stèle, aujourd’hui perdue, et non la face A que la simple observation sur le terrain nous permet de retranscrire de façon certaine. Ainsi la face B est quelque peu délaissée par l’artiste qui n’essaie pas de faire évoluer le motif ou la mise en page des différents éléments. Sur cinq faces B connues ou probables, toutes sont identiques ou probablement identiques.
Enfin dans les faces A et B, on peut noter que jamais le point 6 ne bénéficie d’un traitement de faveur, ce qui est étonnant dans une zone du pays d’Amikuze où un tel choix n’est pas rare.
C. — Le lot des monuments étudiés est particulièrement attrayant pour l’étude des maîtres car ce lot est presque totalement daté. On trouve en effet: 1643, 1 pierre baptistère; 1644, 1 discoïdale, celle des instruments; 1676, 1 plate tombe; 1647, 4 discoïdales; 1648, 1 pied de croix; 1649, 2 discoïdales. Soit au total, 10 monuments datés.
Nous avons donc une concentration dans le temps assez rare de monuments dus à une même main. Entre 1643 et 1649, douze monuments (1), le tout dans une zone géographique parfaitement délimitées, en plein cœur de la Basse-Navarre.
Comme Michel Duvert l’a observé (1980 et 1982), on constate encore une fois, avec toutes les réserves qui s’imposent car beaucoup de monuments ont disparu, qu’il semble que les maîtres travaillaient sur une époque finalement assez réduite, tout au plus une dizaine d’années. Ici, d’après les témoignages qui sont parvenus jusqu’à nous, notre maître aurait travaillé six années, de 1643 à 1649. Qu’a-t-il fait le reste du temps? Tout se passe comme si ces maîtres passaient une sorte d’examen, pendant quelques années seulement, prouvant qu’ils pouvaient «faire des stèles».
D. — Les cas particuliers des figures 8 et 11
La figure 8 appelle deux commentaires: c’est un cas unique à notre connaissance de baptistère orné d’une inscription du type «linteau». D’autre part, c’est chronologiquement la première œuvre (1643) de ce maître. D’après Louis Colas, le texte doit être lu de la manière suivante: 1643. DOCETE: ONS (OMNES). [GENTES] BAP(TIZANTE)S. M (sic) EOS. I (N) NOMINE PATRIS & (ET) FILII & (ET) SP (SPIRITUS) SII (sic). (SANCTI) SEPTEMBER. 17.» Ce qui peut être compris de la manière suivante: «Enseignez-les tous, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit. 17 septembre 1643».
Nous ne nous arrêterons pas sur les quelques erreurs de retranscription de Louis Colas, ni même sur l’analyse du texte qui n’est pas notre propos. Sous la réserve qu’il ne s’agit pas d’un monument funéraire et qu’il est peut-être imprudent de comparer les ouvres dont l’objet et la logique interne sont différents —leur monde respectif sont «autres»— on peut retenir les caractéristiques suivantes.
Une certaine réserve dans la décoration, relativement modeste, de l’œuvre: l’artiste atteindra un aimable «bavardage» dans le traitement des disques, en 1647-1649 (fig. 1-4-9…). Phénomène souvent constaté dans la matière: vigueur dans les première œuvres, facilité et quelquefois une certaine décadence plus tardivement. La fig. 11 est en ce sens plus proche qu’il n’y paraît de la fig. 8 (1643) et que les fig. 1-4-6 et 9 (1647-1649).
La pierre 11 nous paraît plus intéressante dans la mesure où nous avons eu quelque hésitation à l’attribuer à ce maître: nous avons vu plus haut qu’elle fait souvent exception aux règles que celui-ci avait adoptées. De plus nous remarquons ici une inscription circulaire dans la couronne, un motif du disque sur la face A différent des autres stèles, la disparition de l’élément carré qui soulignait la base de quatre, une inscription monolingue, une date incomplète, une ponctuation différente des autres stèles, l’apparition d’instruments artisanaux sur le socle, des dimensions générales de la pierre plus imposantes.
Qui était donc ce maître? Nous n’avions pas immédiatement rattaché le croix (fig. 10) à l’ensemble des autres œuvres, jusqu’à ce que la «mise en page», la ponctuation scrupuleuse, le caractère trilingue, la datation complète et soignée de cette œuvre nous rappelle notre maître anonyme. c’est alors que la fin de l’inscription nous a appris son nom, cette croix étant signée: Tristan Bar. Peut-être le nom se poursuivait-il de l’autre côté du monument? Nous ne le saurons peut-être jamais, cette croix ayant disparu.
Les onze œuvres de Tristant Bar nous auront permis d’appréhender mieux l’évolution dans le temps d’un maître ne possédant pas un très grand souffle artistique ni une imagination débordante, mais ayant une maîtrise technique rarement égalée par ses pairs. D’autres recherches, comme l’étude des mensurations, que nous n’avons pu mener, ou la recherche de ses actes de naissance et de décès, nous en apprendraient-ils un petit peu plus? Il faudrait également étudier dans les villages proches de la vallée, l’influence qu’a pu avoir Tristant Bar sur les autres maîtres dans la deuxième moitié du XVIIe siècle. Peut-être d’autres chercheurs pourront-ils un jour mener à bien ce type de travail?

(1) Nous écrivons «douze monuments» pour des raisons pratiques. En effet, un pied de stèle et un disque peuvent, quoique séparés aujourd’hui, avoir été un seul et même monument originaire.




Figure n° 1



Figure n° 2



Figure n° 3



Figure n° 4
Figure n° 5



Figure n° 6



Figure n° 7



Figure n° 8
Figure n° 9

Figure n°10
Figure n° 11
Figure n° 12


Figure n° 13




Analyse de caractéristiques des stèles



 discoïdales de la vallée de Lantabat



Lucien Etchezaharreta et Isabel Thevenon



Paru dans Les stèles discoïdales, Journée d’étude de Lodève,

Archéologie en Languedoc n° spécial 1980,

Revue de la Fédération archéologique de l’Hérault,

pages 133-136.



Si un abord de l’art de la stèle discoïdale par l’esthétique présente un grand intérêt, son approche au moyen de calculs statistiques élémentaires a une valeur complémentaire. Cet art a produit aux XVIe et XVIIe siècles des milliers de créations autour d’un ensemble d’ateliers, sous l’effet d’influences et d’évolutions diverses. Ce nombre important, l’existence dans les cimetières d’une partie non négligeable de ces monuments, leur caractère géométrique, nous ont conduits à une analyse s’appuyant sur des résultats mathématiques. Ceux-ci devraient pouvoir mettre en évidence des phénomènes, parfois devinés, mais trop rarement étayés.

Intérêt de l’étude
En un an de travaux dans la vallée de Lantabat, en Basse-Navarre (Pays Basque Nord), nous avons pu effectuer le relevé de 182 faces de stèles. Après avoir surmonté nombre de difficultés techniques, nous nous sommes trouvés face à un matériau dont le dépouillement allait apporter des résultats intéressants. En effet, dans cette vallée étirée su 9 km, on trouve quatre cimetières, Behaune, Jondoni Marti ((Saint-Martin), Jondostei (Saint-Etienne), Azkonbegi (Ascombéguy), ces deux derniers étant désaffectés. On y rencontre respectivement 15, 28, 35, et 37 stèles dont 25, 44, 52 et 61 faces sont lisibles. Cette répartition, dans une vallée isolée, dans quatre cimetières relativement éloignés les uns des autres, pouvait provoquer l’apparition d’un ensemble homogène, amis aussi l’apparition d’ateliers ou de phénomènes locaux.

Méthodes
Cette étude est basée sur des mesures effectuées sur les stèles, sur la notation systématique de chacun des éléments caractéristiques (Figure 1). Ces structures sont a priori, fondamentales : diamètre, col, axe (vertical, horizontal, bissectrices), pied, principales figures. Nous avons ensuite utilisé les résultats sommaires du calcul statistique, calculs de moyenne, d’écarts-type, qui décrivent les distributions. Nous avons cherché les coefficients de corrélation pour les relations diamètre/col, puis effectué des calculs de chi 2 pour apprécier le degré de signification des phénomènes. L’utilisation d’un ordinateur nous a permis une analyse factorielle des correspondances : celle-ci permet de montrer la variation de fréquence des caractères, une hiérarchisation des différences existant dans un ensemble de données, ainsi que leurs regroupements. Nous avons pu ainsi étudier quinze facteurs caractéristiques en relation avec les quatre cimetières.
Résultats
Pour la commodité de l’énoncé, nous décrivons toujours les données des cimetières dans l’ordre de l’entrée vers le fond de la vallée, c’est-à-dire, Behaune, Saint-Martin, Saint-Etienne, Ascombéguy. Nous mentionnons le nombre d’observations (N) car, selon l’état de la stèle, il n’est pas toujours possible de mesurer à la fois le diamètre et le col.

a- Etude des diamètres, cols, rapports diamètres/cols
Les valeurs moyennes des diamètres (N=15-20-21-25) sont 45,7-44,9-46,26-47,44 cm. Les écarts type correspondants sont (5,6-5,8-11,87-6,48. Leur rapport qui caractérise une distribution plus ou moins écartée de la moyenne donne 0,123-0,129-0,257-0,137. Saint-Etienne se distingue par une distribution plus étalée.
Pour les largeurs de cols, nous obtenons les valeurs moyennes (avec N=10-20-16-26) 24,8-23,8-23,9-23,25 cm avec des écarts-type 4,6-4,3-4,7-3,38 et des rapports de 0,185-0,181-0,197-0,145. Ascombéguy possède la distribution la plus serrée autour de la moyenne.
Enfin, la distribution du rapport diamètre/col donne des moyennes (pour N=10-20-11-22) 2,0-1,91-1,95-2,00 avec des écarts-types 0,35-0,24-0,15-0,14. Leurs rapports 0,175-0,126-0,077-0,070 indiquent ses distributions serrées, analogues pour Saint-Etienne et Ascombéguy.


b- Corrélation diamètre du disque-largeur du col, figure 2
En mettant en abscisse le diamètre de la stèle et la largeur du col en ordonnée, nous pouvons représenter l’ensemble des stèles de la vallée et calculer la courbe correspondant le mieux à la relation diamètre-col. Le coefficient de corrélation, positif, selon sa proximité de 1, va indiquer la plus ou moins grande variation par rapport à la courbe. Nous obtenons 0,87-0,66-0,99-0,89. La corrélation pour Saint-Etienne est exceptionnelle. L’ensemble des coefficients indique que celle-ci est plus significative que 0,01. En comparant avec les distributions diamètre/cols, nous mettons en évidence un rapport strict, voisin de 2, que les sculpteurs respectaient.


c- Analyse factorielle des correspondances, figure 3
Chaque caractère peut se comparer à un autre, dans la figure. Il faut observer s’il y a conjonction de caractères : l’angle dont le sommet est l’intersection des axes et dont les côtés passent par ces deux points est alors faible, les deux caractères sont alors associés. Il peut y avoir aussi opposition, les caractères tant symétriques par rapport à l’intersection des axes ; ils sont alors nettement différenciés. Enfin, s’il y a quadrature, les caractères sont symétriques par rapport aux axes et on ne peut alors établir ni association ni différenciation.
La figure 3 montre quatre ensembles : une partie centrale constituée par des caractères communs (puisqu’il n’y a pas de différenciation) et quatre groupes comportant chacun un cimetière, dans chaque quadrant. Il faut noter, par rapport aux facteurs principaux, que c’est Ascombéguy qui se distingue le plus ; cela est sans doute dû à sa position en retrait au fond de la vallée. Pour illustrer ces regroupements et différences, il est intéressant d’avoir recours à une comparaison, en pourcentage, de la présence des diverses caractéristiques de chaque groupe.


d- Les caractères communs, figure 4
Nous obtenons confirmation (chi non significatif) du caractère commun pour la matérialisation des axes horizontaux, verticaux, du centre du disque et des axes A et B, ainsi que la spécificité de la région à 6 h. Pour les trois premiers (pourcentage élevé), il s’agit sans doute d’une caractéristique générale ; pour les deux derniers, leur fréquence uniforme ferait penser à une propriété commune de la vallée.


e- Les éléments de différenciation, figure 5
Le travail du pied, de la bordure, ainsi que la présence de texte permettant une différenciation nette des quatre cimetières (chi significatif entre 0,02 et 0,05) : par exemple, Ascombéguy est caractérisé par le travail du pied et la présence de texte.

f- Les figures occupant tout le disque, éléments de différenciation, figure 6
Les quatre éléments considérés permettent aussi bien de distinguer les groupes (chi 2 significatif entre 0,02 et 0,05) : par exemple, Saint-Martin contient beaucoup de figures (sauf l’étoile à six branches) et Behaune est caractérisé par le nombre de croix de Malte ; Saint-Etienne possède peu de figures.

g- Association entre figures principales
Sur les 115 stèles, on trouve 25 cas de figures occupant le recto et le verso du disque (12 à Saint-Martin, 7 à Ascombéguy) ; il s’agit des figures considérées ci-dessus. Deux figures semblables ne sont jamais associées. De même, on ne trouve jamais les couples étoile à six branches/étoile à cinq branches, ni étoile à six branche/étoile fusiforme à six pointes. On trouve sept fois le couple étoile à cinq branches/croix de Malte.

Discussion
Il est arbitraire de limiter les choix des caractéristiques étudiée : ce choix, dans un calcul statistique, infléchit les résultats. L’ensemble complet des critères d’analyse de la stèle (sans a priori de sélection) pourrait seul donner une vision exacte de la distribution des caractères et une association plus correcte dans l’analyse factorielle.
L’étude de la stèle uniquement, alors qu’il y a cohabitation avec les croix et les dalles funéraires, ne peut pas donner une image parfaite des phénomènes évolutifs et des différences locales, puisqu’on passe d’une période où il n’y a que des stèles discoïdales, à une période de mixité, en un seul siècle.
D’autre part, il ne faut pas oublier qu’il y a eu destruction et disparition : soit les œuvres les plus belles ont été emportées, soit celles considérées mineures ont été cassées. Nous raisonnons donc sur une fraction du matériel. De plus, un cimetière comme Ascombéguy a été relativement protégé, alors que celui de Saint-Martin a subi des modifications considérables au XXe siècle. Cependant, l’homogénéité des données obtenues conduit à penser que nous avons mis en évidence un aspect assez précis de l’art lapidaire funéraire de Lantabat dans la période étudiée.

Conclusion
Nous avons voulu par cette étude évacuer l’approche approximative, le simple «coup d’œil». L’étude des combinaisons des éléments permet d’approcher des qualités fondamentales de la stèle. Celle-ci est un monument complexe, un univers en mouvement. La somme des éléments ne constitue pas l’ensemble, c’est la combinaison, le produit de ceux-ci qui est primordial. On ne rencontre jamais deux stèles identiques le travail de la stèle a été un travail de création.
L’art de la stèle discoïdale à Lantabat s’est construit autour de structures fondamentales : des axes matérialisés, le centre du disque mis en évidence, un rapport col/diamètre voisin de deux, une région à 6 heures spécifique. C’est autour de ces structures que les sculpteurs ont créé. Pour diversifier leurs œuvres, ils ont travaillé le pied, la bordure, ou utilisé le texte, et enfin, des symboles qu’ils ont combinés.
Au bout de trois siècles, Lantabat demeure encore l’illustration magnifique de la stèle discoïdale basque.

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