Clément Urrutibehety: Les seigneurs de Luxe. Les communautés de donats

Les seigneurs de Luxe

Clément Urrutibéhéty
Gure Herria, 1965eko buruila-3, 146 or.

Les seigneurs de Luxe, héritiers des baronnies de Luxe, de Lantabat et d’Ostabat, et protecteurs naturels des hôpitaux de Luxe, de Lantabat et d’Ostabat, étaient appelés à contrôler sur leurs terres une partie notable du trafic et du pèlerinage. Leur présence à Ostabat au cœur du grand axe routier bas-Navarrais est symptomatique à cet égard. Le rôle respectif des prieurés-hôpitaux de Luxe et de Lantabat est moins connu, imbriqués dans la faisceau jacobite terminal par le jeu d’une bretelle de raccordement de Garris à Ostabat. L’existence d’un chemin proprement seigneurial, dominé par les barons de Luxe, s’impose pour la nécessaire liaison des trois baronnies, chemin seigneurial d’intérêt jacobite secondaire, tributaire des formations hospitalières de Luxe, de Lantabat et d’Ostabat. Les barons de Luxe avaient la haute main sur la police du chemin auquel M. Etchats faisait allusion, et «qui conduit de Garris et de Luxe à Beyrie, qui coupe sur la première crête le chemin de Beyrie à Méharin et continue vers Lantabat». (1)
Le domaine des Luxe présente entre la baronnie de Luxe et celle de Lantabat et d’Ostabat une solution de continuité comblée par une succession de croupes et de crêtes. Ce sont les pièces directrices au profil dessiné et orienté par les montagnes de Begoué, d’Aspiné et d’Elhigna qui détiennent la clef des passages et commandent les axes routiers bas-navarrais à l’ouest du mont Saint-Sauveur, à la limite des territoires de Beyrie, de Méharin et de Lantabat.
Le pivot constitué par la montagne d’Elhigna. Un chemin, nettement reconnaissable, détaché du col d’Elhigna, épouse le flanc est d’Aspiné sur toute sa longueur, chemin qu’empruntaient il n’y a guère les Basques se rendant d’Iholdy à Garris et que restitue le plan cadastral de Beyrie sous le nom de chemin d’Iholdy à Garris. Il croise le chemin de crête actuel de Beyrie à Méharin, au-dessus des maisons Mendigaraya et Çaldumbidia, de Beyrie, se perd ensuite dans un enclos de troënes et un semis de pins. Il gagne les hauteurs de Begoué à la limite de Beyrie et de Béguios, on le voit s’engager dans le col, à la jonction du grand et du petit Begoué, Begoué Andi et Begoué Tipi. Sur les pentes dAspiné et de Begoué, il traverse les communaus de Luxe, et c’est déjà une indication. Mais le plan cadastral de Beyrie est plus formel quand il désigne la dernière portion sous le nom tantôt de chemin de Garris, tantôt de chemin de Lantabat, comme dans le vieux plan. Il descend en écharpe du col de Begoué, et débouche sur la D. 14 de Saint-Palais à Hasparren dans une réserve de gravillons récemment aménagée en face de la maison Bordaberria, de Béguios, à 1km. 800 du pont d’Estequa. Au pont d’Estequa, à 6 km. de Saint-Palais, un autre chemin dit de Laharmina contourne le pied de la colline de Luxe, rejoignant également le chemin de crête de Beyrie à Méharin, au niveau de la maison Bidaina.
Le chemin de Laharmina, orienté vers Beyrie, et celui du col de Begoué, axé sur Iholdy et sur Lantabat, fusionnent au pont d’Estequa pour suivre la rive droite du ruisseau Harminague sur un bon kilomètre, à la limite de Luxe et de Beguios, et monte jusqu’au prieuré-hôpital de Luxe. Le chemin quitte l’église du village, entre la cimetière et la maison Berrogain, on le voit descendre en direction de la maison Arrangoits de Luxe, se perdre dans les buissons et rejoindre l’ancienne route de Bayonne à Saint-Palais qui figure sur l’atlas géographique de Jaillot. Celle-ci franchissait, à la limite de Garris et de Luxe, le ruisseau Çubiague, autrement dit Arrangoits-Çubiague, connu en aval sous le nom de ruisseau de Camito. Le pont ou passage d’Arrangoits-Çubiague, suivant les interprétations du radical çubi, conduisait au carrefour de Pellegrinia où nous connaissons sa terminaison le long du mur de clôture de Pellegrinia.

Le château de Luxe
Le château de Luxe veillait sur la libre communication d’une baronnie à l’autre. Il accompagnait la progression vers le col de Begoué d’où l’œil surprend l’alignement de la colline de Luxe, des croupes de Begoué, d’Aspiné et d’Elhigna, au contrefort de Hocha d’Iholdy. Que reste-t-il du château? Un lieu-dit, la Touroune de Luxe au sommet de la colline, que l’on atteint à partir du calvaire de Luxe ou de la cour de la maison voisine. Un turon, en forme de tronc de cône, support de la tour primitive du château, précède une vaste terrasse envahie par la prolifération d’ajoncs épineux, d’abord inaccessible. Le château n’a guère survécu à la cassure du royaume de Navarre en 1512, à la défaite de Noain de 1521 et à l’invasion des troupes de Charles-Quint en 1523. Le seigneur de Luxe avait pris ostensiblement le parti de l’envahisseur et Henri II de Navarre décréta la confiscation de tous ses biens par lettres patentes, datées de Pau le 2 mai 1524, et frappa au cœur de la baronnie rebelle dans les murs du château dont il ordonna la ruine.
La destruction du château n’est pas sans rappeler, à trois siècles de distance, le sort réservé à la ville d’Ostabat, en 1228. Le seigneur de Luxe, insoumis au roi de Navarre, malgré la suzeraineté de ce dernier sur tout le pays de Mixe-Ostabarret, depuis 1196, se prétendit seigneur souverain d’Ostabat qu’il fortifia et entoura d’une enceinte. Sanche le Fort mit le siège devant la ville, s’en empara et rasa les murailles avant de recevoir, au mois de juillet 1228, l’hommage de Pierre Arnaud II de Luxe, son vassal à Ostabat, qui s’engageait à n’y élever aucune fortification sans le consentement du roi (2).
L’hommage du château de Luxe fut ensuite plus tardif que celui d’Ostabat. C’est la fils de Pierre Arnaud II, Bras-Garcia III de Luxe, qui reconnut la suzeraineté de Thibaut II, roi de Navarre, au mois d’octobre 1258, en la ville de Saint-Jean-Pied-de-Port, le premier samedi après la fête de Saint-Michel l’Archange. Le Seigneur de Luxe s’engageait à remettre le château sur l’ordre du roi et à y recevoir le roi et ses gens suivant les exigences de la guerre. Le roi l’indemniserait des dommages causés sur sa terre par les hostilités et lui procurerait un logement durant son éviction du château. Celui-ci lui serait remis, dès la fin des hostilités, dans son état premier. Le roi lui accordait en contre-partie une rente annuelle de 100 livres tournois, bienfait auquel le seigneur de Luxe pouvait renoncer et, dans ce cas, le roi était délié à son endroit. Si le roi de son côté retirait son bienfait, le seigneur de Luxe se trouvait délié (3)
La rivalité des lignages de Luxe et de Gramont est une autre expression de la puissance et de l’ambition seigneuriales. Leur politique partisane, rivée à des options et à des querelles familiales, fomenta la guerre civile en Navarre et alimenta au XVe siècle la sanglante lutte des Beaumontois ou Luxetins et des Agramontois, fatale en définitive au royaume.

La souveraineté de Luxe
Des décombres du château, le mythe de la souveraineté ancestrale des Luxe allait ressurgir en dépit du droit et des enseignements du passé. L’héritière des Luxe avait épousé en 1593 Louis de Montmorency-Bouteville, et l’alliance des deux familles ne fit que précipiter la promulgation et la diffusion d’un titre de souveraineté sans fondement.
Charlotte de Luxe «dame du dit lieu et de Bouteville» s’intitule à partir de 1621 «souveraine de Luxe», à l’occasion du procès qu’elle soutint contre des demi-frères, Valentin et Jean, qui s’étaient emparés du château de Tardets. Elle demanda à la chancellerie de Navarre, à Saint-Palais, l’enregistrement des deux actes grevés de cette souveraineté. Le procureur général de la chancellerie, de Vidart, jugea le titre de souveraineté irrecevable, rejeta en conséquence sa requête et «se roidit» en son refus des sollicitations. Charlotte crut tourner la décision, pourtant souveraine, de la cour suprême en s’adressant à des justices subalternes. Elle fut accueillie par un concert d’enregistrements, semblant entériner son titre à l’unisson et contredire dans la même mesure la verdict de la chancellerie. Coup après coup, les actes sont enregistrés, comme l’écrit M. Etchats, en Soule par la cour de Licharre, le 30 août 1624, en Basse-Navarre par la cour de Cize, le 6 septembre 1625, par le bailli et les jurats de Saint-Palais, en octobre 1626, et le même mois par la cour de Mixe à Garris.
Forts d’une majorité qui pouvait impressionner et passer pour une approbation et un consentement juridique quasi général, les Montmorency-Bouteville se prévaudront ensuite d’un titre qui ne leur fut somme toute contesté que par la chancellerie de Navarre. Or, c’est là tout le problème. La chancellerie était seule compétente en cette affaire, parce que seule habilitée à recevoir les matières privilégiées et les causes des nobles. Les causes privilégiées ne pouvaient être invoquées en première instance par les justices subalternes, et de nulle manière, est-il besoin de le dire, aller en appel devant des juridictions inférieures.
Le siège du bailli et des jurats de Saint-Palais, de la cour de Mixe, de la cour de Cize, etc. était par contre doté de pouvoirs administratifs étendus aux divers plans de finances, de la police, de la justice, et servait en même temps de chambre d’enregistrement. Les cours subalternes ont opéré en l’occurrence comme simples bureaux d’enregistrement, se bornait à insinuer, comme l’on disait alors, à enregistrer les actes présentés par Charlotte de Luxe, sans s’immiscer dans une question de discrimination nobiliaire qu’elles n’avaient ni à connaître, ni à trancher. La souveraineté de Luxe, cause réservée échappant à leur appréciation et à leur contrôle, n’y trouvait ni rejet, ni soutien. La chancellerie de Navarre, quant à elle, s’était prononcée comme on sait, en toute connaissance et compétence, et en exclusivité.
Les Etats généraux de Navarre, n’admettaient, on le sait, aucune préséance dans la noblesse eu sein de l’assemblée bas-navarraise. La prétention des Luxe, Belzunce, Echaux, Uhart, de se prévaloir de leurs titres pour occuper un rang privilégié parmi les 104 gentilshommes de la noblesse, suivant le chiffre de l’ancien catalogue, ne fut pas admise. Les Etats donnèrent suite, le 15 décembre 1665, à une proposition du vicomte de Belzunce tendant à réviser le catalogue des nobles. Une commission, comprenant un député du clergé, quatre députés de la noblesse et quatre députés du tiers-état, fut désignée afin d’examiner conjointement l’ancien et le nouveau catalogue. Le nombre des gentilshommes était en effet passé de 104 à 150, et la commission se voyait chargée de relever le nom des nouveaux membres reçus aux Etats dans l’ordre de la noblesse sans qualité réelle, c’est-à-dire sans titre de possession de maison noble, les titres de propriété étant les seuls retenus par l’assemblée des Etats (4).
La souveraineté de Luxe continua de briller dans la succession des Montmorency. Les restes des derniers prétendants à la souveraineté reposent dans l’église de Luxe. Lors des réparations qui y furent effectuées, il y a une dizaine d’années, sous le ministère de M. le curé d’Azpeitia, fut découvert, sous l’autel de la vierge, un cercueil de plomb, recouvert d’une épée sans son pommeau et d’une plaque en cuivre portant l’inscription suivante: «Très haute et très puissante Dame, Marie Jeanne Thérèse l’Epinay Marteville, comtesse et souveraine de Lusse en Basse-Navarre épouse de très haut et très puissant seigneur Mgr Anne Sigismond de Montmorency Luxembourg, duc d’Ollonne et de Châtillon sur Loing, 1er baron chrétien et ci-devant veuve de très haut et très puissant seigneur Mgr Joseph Maurice Annibal de Montmorency Souverain de Lusse, 1er baron chrétien, lieutenant général des armées du Roy, décédée en son hôtel Rue des Lions, paroisse Saint-Paul, le mercredy 27 Sbre 1775 dans la 46e année de son âge et transféré en l’église de son comté souverain de Lusse. Requiescat in pace».
Joseph Maurice Annibal de Montmorency, son premier mari, l’y avait précédée en 1762, ce qui explique la présence d’une épée, déplacée sur le cercueil de la comtesse. Le procès-verbal de son inhumation se trouve consigné dans les registres paroissiaux de Luxe, au mois de mai 1762, d’où nous l’avons extrait: «Le cinq du mois de Septembre mil sept cent soixante deux mourut à Pau son altesse Joseph Maurice Annibal de Montmorency Luxembourg comte de Montmorency, Premier baron chrétien de France, Souverain de Lusse, Lieutenant général des armées du Roi, âgé de quarante quatre ans ou environ, et son cadavre a été transporté en ladite Souveraineté le six, où étant arrivé vers les dix heures du soir, il a été inhumé dans son tombeau de sa chapelle Notre Dame présents au convoi Messire Mathieu de Lespade de la ville de Saint-Palais, écuyer conseiller du Roi et juge de la présente Souveraineté, et Me Jean Louis Monlaur Gentilhomme Cavier lesquels ont y signé de ce faire interpellés par moi. D’Arracomits prieur».
Le comté souverain de Luxe avait pris pied dans la baronnie au XVIIIe siècle, nominalement et sans consistance. Le comte souverain de Luxe n’y détenait en fait aucun pouvoir. A Luxe, comme dans tous les villages de Basse-Navarre, au XVIIIe siècle, que trouvait-on? Une assemblée de jurats dotée de pouvoirs étendus. C’est le premier jurat, Labiague, docteur en médecine, qui exerce la magistrature avec le titre de juge civil et criminel et signe le registre paroissial d’état-civil en 1735. En 1720, c’est d’Etchevers qui est bailli et juge de Luxe.
Le 12 mai 1736, Pierre ou Petry, garçon cordonnier mortellement frappé par une arme à feu près de la maison d’Algueiru de Luxe, est inhumé «après que MM. Les jurats l’eurent visité et dressé leur procès-verbal». Autre transport de justice la 7 avril 1738 pour le meurtre d’Alexandre Etcheberry, sieur jeune de la maison d’Etchevers de Luxe, «tué de coups sur le grand chemin qui conduit à la maison de Barhene de Sumberraute à celle d’Alçurrun de Béguios», et les jurats procèdent encore au constat: «Et après que MM. Les jurats et le procureur juridictionnel de la d. comté de Luxe l’eussent visité et qu’ils eurent dressé leur procès-verbal, son corps fut inhumé».
L’action des jurats de Luxe s’exerçait sur le territoire de Sumberraute dans le fonds de la maison de Barhenne «dépendante de la juridiction de la comté de Luxe», la juridiction de Luxe dépendant elle-même du bailliage de Mixe et de la sénéchaussée de Navarre. Si l’on excepte celui de 1735, tous les registres paroissiaux de 1773 à 1762 sont visés, soit par le juge royal du bailliage de Mixe, Martin de Florence, conseiller du roi, soit par un magistrat de la sénéchaussée: Pierre de Goyheneche, conseiller du roi et assesseur de la sénéchaussée; Valentin d’Issoste, conseiller du roi et lieutenant général de la sénéchaussée; Lespade Sainte-Marie, conseiller, procureur du roi au sénéchal de Navarre. Tels sont les derniers échos d’une baronnie établie en Navarre au XIe siècle, auréolée à son déclin par la main de l’homme d’un nimbe de souveraineté.

Le prieuré-hôpital de Luxe
Des chroniqueurs ont soutenu que la paroisse de Luxe a vu seulement le jour à partir de 1872. Le presbytère de Luxe possède heureusement des archives paroissiales antérieures à la Révolution, archives fragmentaires qui soulèvent un lambeau du voile d’un long passé paroissial et hospitalier, contemporain ou peu s’en faut de l’érection de la baronnie du même lieu. L’un des registres de l’église paroissiale de Notre-Dame de Luxe, coté et paraphé le 26 décembre 1735, est ainsi libellé: «Nous juge civil et criminel de la comté de Luxe avons cotté et paraphé le présent registre des baptêmes, mariages et sépultures de l’église paroissiale notre dame de Luxe contenant quatre pages. A luxe le 26 décembre mil sept cent trente cinq. Labiague médecin 1er jurat et juge civil criminel».
Un établissement est mentionné dès le XIIe siècle sous le nom de Luxa dan la collection Duchesne (vol. CXIV, fos 32 et 35). Le dictionnaire topographique de Paul Raymond cite Luixe au XIIIe siècle, d’après le cartulaire de Bayonne (f° 80), Lucxa en 1384, Nostre-Done de Lucxe an 1742, d’après la notice de Labastide Villefranche (n° 2, f° 45).
L’église de Notre-Dame, nécropole des derniers prétendants de Luxe, et sans doute des barons de Luxe eux-mêmes, à la fois paroissiale et prieuriale anciennement, reste l’ornement de la place du village. Hors l’église, le prieuré-hôpital de Luxe n’est guère prolixe de souvenirs. Le vocable de l’hôpital s’est éteint, de même que celui de la maison du prieur, ce dernier, un temps préservé, grâce au toponyme aujourd’hui disparu, Prioriarena. On trouve Priorirena maintes fois mentionné dans les archives paroissiales, graphie habituelle avec les variantes Priorarena ou Prioraena. Cette maison n’était plus occupée par le prieur mais par Me Sébastien d’Uhalde, notaire royal, décédé le 3 mai 1742, et par son gendre Jean Bailère (ou Baylere), notaire royal enquêteur, décédé le 25 février 1783. Les témoins appartiennent pour la plupart aux maisons voisines de celles actuellement occupée par Mme Berrogain, et l’on peut en tirer argument en faveur de l’identification du prieuré en ce lieu où une tradition recueillie par la propriétaire situerait le prieuré, séparé de l’église et du cimetière par l’ancien chemin de Garris.
On trouve aussi pour étayer l’existence du prieuré-hôpital de luxe, la signature des curés-prieurs de l’église Notre-Dame de Luxe. De 1718 à 1789, s’inscrivent les noms des cinq titulaires de l’office de prieur:
+ Jean de Visargorri, de Sumberraute, «prieur et curé de la paroisse de Luxe», décédé le 18 avril 1718. Il avait succédé, selon Haristoy, à Paul de Goheneche de Garris qui se démit en sa faveur en 1680. Haristoy cite avant lui trois autres prieurs: Bernard d’Etchebarne, en 1573, Jean d’Alzeiru (Algeiru) en 1604 et Jean d’Elizaitzine en 1651.
+ Detcheto, prieur, qui signe les actes du 23 novembre 1720 au 23 février 1740.
+ Bertix Saint-Cricq, ancien de Visargorri et de Decheto, qui signe son premier acte de prieur la 2 juin 1740 et remet un dernier registre au greffe de la sénéchaussée de Saint-Palais le 14 janvier 1758.
+ D’Arracomits «prêtre et prieur de Lusse», qui paraît la 4 août 1759, décédé le 26 janvier 1772.
+ Dubarbier Noguez, «prieur de Lusse», clôt la série des actes paroissiaux du 28 avril 1772 au 27 novembre 1789 et la liste des prieurs animateurs de l’ancien prieuré-hôpital de Luxe.

La Baronnie de Lantabat
Erigée en baronnie au XIe siècle, en même temps que les baronnies de Luxe et d’Ostabat, la vallée de Lantabat, étymologiquement la vallée cultivée, constitue une entité géographique et historique, due essentiellement à la configuration de sa bande territoriale orientée du nord-est au sud-ouest sur une dizaine de kilomètres de long, resserrée entre deux chaînes de montagne, ouverte au nord dans la vallée de la Joyeuse au niveau de la confluence du ruisseau qui l’arrose, et terminée au sud en cul de sac. Une fois engagé dans la vallée, il n’est de sortie que dans l’escalade de cols, les trois cols d’Ipharlatze à l’est vers Ostabat, de Laphartzale à l’ouest vers Iholdy, des palombières d’Azkonbegi ou de Suhuskune au sud.
Unité administrative, la vallée de Lantabat est devenue commune de Lantabat, au nom de la vallée, par adoption et assimilation du territoire. On chercherait vainement une agglomération, un bourg ou un quartier proprement dit Lantabat. La carte Michelin, en localisant Lantabat entre Behaune et Azkonbegi s’en est tirée par une demi-mesure qui escamote la bourg de Saint-Martin et lui substitue purement et simplement le générique Lantabat.
La baronnie de Lantabat comprenait quatre agglomérations distinctes, quatre paroisses anciennement, exprimées actuellement en quartiers, du nord au sud, Behaune, Saint-Martin, Saint-Etienne et Azkonbegi, groupés dans la vallée et fusionnés dans la commune actuelle, comme ils l’étaient dans la baronnie. La vallée de Lantabat a imposé son moule naturel aux structures administratives successives, exemple type de survivance d’une communauté millénaire primitive.

Prieuré de Behaune
Le prieuré de Behaune à l’emplacement du presbytère actuel est une création des seigneurs de Luxe dans leur baronnie de Lantabat, trait d’union de celles de Luxe et d’Ostabat. Pierre Arnaud II de Luxe fit don en 1227 à l’abbé Nicolas et aux frères de l’abbaye de Lahonce de l’ordre des Prémontrés, du lieu de Behaune et de ses dépendances, pour le salut de son âme et celui de ses prédécesseurs et de ses successeurs, avec l’agrément de l’évêque de Dax, Gaillard, et de l’archidiacre de Mixe, Amanieu: «…ad omnes maxime vero ad domesticos fidei notum esse volo tam proesentibus quam futuris, quod ego intuitu pietatis ductus pro salute tam animae meae quam parentum et praedecessorum et successorum meorum locum qui dicitur Behaum cum omnibus dependitiis suis, sicut eum tenuit pater meus et ego post ipsum… devota et libera largitione Domino Nicolao abbati et fratribus Hontiae Praemonstratensis ordinis contuli perpetuam eleemosynam perpetius temporibis pacifice et libere possidendum… Ista eleemosyna et donatio facta fuit apud Behaum in ecclesia Sancti Petri super altare par ramun et cespitem in proesentia quamplurinum clericorum et etiam fratrum et sororum ibidem degentium » (5)
La présence de ces frères et sœurs résidant à Behaune, semble indiquer l’existence ancienne d’un établissement hospitalier. Le seigneur de Luxe prête serment sur l’évangile en l’église Saint-Pierre de Behaune, il s’engageait à préserver de toute atteinte les moines Prémontrés. Toute opposition à la donation ou toute contestation serait passible d’excommunication de par l’autorité pontificale de Pierre de Gramont. Pierre de Gramont, prieur d’Utxiat, assistait à la cérémonie en même temps que les frères du seigneur de Luxe, Bernard de Luxe, moine de Lahonce, Loup Bergon, moine de Sorde. Rencontre bénéfique des Luxe et des Gramont, conjonction des deux familles dans l’essor du pèlerinage, comme l’atteste déjà en 1150 la présence de leur chef de lignage lors de l’édification de l’hôpital d’Ordios, coopération généralement limité au pèlerinage ou à la croisade, à laquelle participèrent à la suite de Thibaud II, roi de Navarre, le seigneur de Luxe et les siens, et le seigneur de Gramont et les siens, en 1270.
Une liste des curés, nous devrions dire des prieurs-curés, a été publiée par Haristoy. Le plus célèbre d’entre eux, Marc Antoine d’Eliceiry, était connu au XVIIe siècle sous le titre de prieur de Behaune. Un procès au XVIIe siècle intéressera, nous le verrons, la possession du prieuré de Behaune.
1636-1696: Marc Antoine d’Eliceiry.
1696-1698: Pierre d’Eliceiry.
1698-1701: Bisquey.
1701-1747: Domecq Arnaud.
1747-vers 1764: Moreau.
Vers 1764-1781: Darrigol.
1781-1789: de Suhare.
1789-1791: Saint-Jayme.
Marc Antoine d’Eliceiry, prieur de Behaune, cumula pendant une quinzaine d’années la charge de vicaire général de l’évêque de Dax en Mixe-Ostibarret et c’est en tant que représentant de l’évêque de Dax qu’il entre aux Etats de Navarre et siège dans les rangs du clergé à la fin du XVIIe siècle. Les Etats de Navarre le désignent indifféremment sous le titre de prieur de Behaune, et c’est sur sa proposition lors de l’assemblée de 1694 que la comtesse de Guiche sera pressentie comme protectrice des Etats aux lieu et place de la duchesse de Gramont, décédée, et priée d’accepter la somme d’argent annuelle précédemment allouée à la duchesse.
Le prieur Marc Antoine d’Eliceiry, homme d’église et homme d’affaires, se mêla d’exploitation forestière. Une délibération des registres des jurats de Saint-Palais fait état de la vente de 66 chênes du bois d’Oxidoy au prieur de Behaune, employées à l’extinction des charges des offices de receveur des deniers d’octroi et patrimoniaux, et de juré crieur. Il fit aussi l’acquisition de la plus grande partie du bois de Behaune. Ce bois appartenait par indivis, selon l’abbé Charles d’Eliceiry descendant de la famille, aux 51 propriétaires de la vallée de Lantabat, depuis la cession de la terre de Behaune par Pierre Arnaud de Luxe à l’ordre des Prémontrés en 1227. Deux parts étaient réservées en propre au prieur de Behaune. Marc Antoine d’Eliceiry compléta la lot en achetant 43 parts. Par testament du 21 octobre 1697, il laissa ces parts à son neveu Pierre d’Eliceiry, légua les 400 livres l’hôpital de Saint-Palais et 600 livres à l’église de Behaune. La fortune et la largesse du testataire ne s’arrêtaient pas là, car les Etats de Navarre eurent à délibérer en 1698 et en 1699 sur une clause testamentaire qui prévoyait un legs important destiné à la fondation d’un séminaire à Saint-Palais (6). L’opportunité du choix de la ville unanimement admis, l’assemblée émit un vœu favorable à cette édification. Il n’y eut pas de suite, à cause semble-t-il du refus de l’évêque de Dax favorable à l’établissement d’un séminaire «au Saint-Esprit proche Bayonne». Pierre, frère de Marc Antoine d’Eliceiry, lui succéda au prieuré de Behaune.
Un différend opposa peu après l’ordre des prémontrés aux Etats de Navarre au sujet du prieuré de Behaune, dépendant toujours des Prémontrés Le sieur Domecq était prieur de Behaune, en 1702, au moment de l’intervention des Etats. Deux candidats postulaient la charge, Marc Biscay (qui pourrait bien être le dénommé Bisquey prieur de Behaune de 1698 à 1701) et le sieur Domecq.
L’instance portée au parlement de Navarre concernant «le possessoire du d. prieuré par frère Biscay, chanoine du d. ordre, a été jugée contradictoirement au faveur du Sr Domecq prêtre». Le procureur général de l’ordre des Prémontrés, le sieur Ferry et le général de l’ordre prétendaient que le sieur de Biscay ne pouvait se porter au parlement comme il l’a fait, et qu’en vertu d’un privilège d’Ordre ou du commitimus, ce procès déjà jugé devait être introduit au Grand conseil pour y être jugé en faveur du dit Biscay. Ils obtinrent du Grand conseil les arrêts dépossédant le sieur Domecq.
Les Etats demandèrent la cassation des arrêts du Grand conseil comme contraires aux lois, aux règlements et aux privilèges du royaume. Ces lois et ces règlements, disent-ils, sont favorables au sieur Domecq, les habitants de Navarre devant être jugés en Navarre et ne pouvant être distraits de leurs juges naturels, ni être obligés d’aller plaider hors du royaume de Navarre.
Le syndic des Etats est chargé de présenter un article à sa Majesté par cahier séparé, tout en intervenant dans l’instance du Conseil privé pendante entre les parties: «Les Règlements des années 1562, 1642 et 1669 qui restreignent les évocations au seul cas des parents et alliances au degré de l’ordinaire seront exécutés suivant leur forme et teneur, sans que sous prétexte de privilèges des personnes ou matières, les laïcs ni ecclésiastiques séculiers ou réguliers ou chefs d’Ordre puissent en vertu d’aucun commitimus ni prétendu privilège d’Ordre attirer en aucun autre cas au Grand conseil ni ailleurs les matières bénéficiables ni autres instances quelconques formées ou à former concernant les bénéfices ni autres biens étant dans le présent royaume de Navarre. Et en conséquence que soient cassées les assignations données au Grand conseil au sr Domec tant au nom du général des Prémontrés en vertu de son prétendu commitimus, que celles faites donner au Sr Domec au nom du procureur du dit général du d. Ordre, ainsi que les arrêts rendus en conséquence au Grand Conseil par défaut contre le Sr Domec avec défense du dit Biscay et tous autres de s’en aider» (7).
Dans son appointement le seigneur lieutenant du roi, représentant la personne du roi et président aux Etats, ordonne que les règlements des années 1562, 1642 et 1669 seront exécutés suivant leur forme et teneur. Il intercédera auprès de sa Majesté pour que soit accordé aux suppliants le contenu au présent article. Le Etats obtinrent gain de cause en fait et en droit, puisque le sieur Domec figure sur les tablettes du preuré de 1701 à 1747.
La restauration du prieuré fut entreprise en 1772 par Darrigol, «prieur curé des paroisses de Behaune et de Saint-Martin de Lantabat», qui s’intitule flamen sur l’inscription lapidaire du linteau de la porte d’entrée :
1772
FLAMEN. TECTA. REAEDIFICARE.
LABIENTIA. CURAT. AD. LAUDEM.
DOMINI. DARRIGOL. IPSE. SUI.

«Le prêtre Darrigol lui-même a pris soin de réédifier pour la gloire de son Seigneur les toits sur le point de tomber».

Saint-Etienne de Lantabat
L’église paroissiale de Saint-Pierre de Behaune, devenue prieurale, préexistait à la donation des terres de Behaune aux Prémontrés de l’abbaye de Lahonce. L’ancienneté de Saint-Etienne de Lantabat plus avant dans la vallée, Sanctus Stephanus, est établie dès le XIIe siècle dans la collection Duchesne. On trouve actuellement une curieuse chapelle, mausolée des deux maisons nobles de Saint-Etienne, Haranburu et Saint-Etienne. En guise de clocher, le fronton d’un mur pignon surplombe l’avant-toit du porche, et supporte une croix latine à la pointe du triangle médian où loge la cloche dans sa niche ajourée, flanquée latéralement de chaque côté de la base du triangle d’une discoïdale basque provenant du cimetière abandonné.
Le porche et son linteau sculpté en abritent les dalles funéraires d’un seigneur de Saint-Etienne décédé le 7 août 1646, de noble Jean d’Haranburu décédé le 13 février 1734 et de Pierre Borua (Boraa) d’Arbouet, curé de la paroisse de Saint-Etienne, mort le 2 mai 1770. A l’intérieur de la chapelle, les fonts baptismaux portent une inscription latine «docete omnes, baptisantes meos in nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti», et un appendice latéral gauche de la chapelle protège la dalle funéraire de noble Marie Dame des Salles de Soccaro et de Saint-Etienne, enterrés la 3 février 1711.
La chapelle a influencé à l’origine la maison noble voisine, ne serait-ce qu’au point de vue onomastique, Donostey ou Donosteguy, Saint-Etienne, ancienne maison forte, sur plan quadrangulaire, avec échauguettes d’angles et machicoulis. Au-dessus de la porte d’entrée, un blason martelé pendant la Révolution attire l’attention sur trois coquilles sauvées du massacre au pourtour de la pierre. Biscay donne les armoiries de Saint-Esteben ou Saint-Etienne de Lantabat, de sable à un lion rampant d’argent et à la bordure de gueules, mais qu’il ne charge d’aucune coquille.
Que signifient les trois coquilles restantes, pure décoration ou document véritable et témoignage de la pierre? Le démolisseur du blason convaincu quant à lui de leur insignifiance et de leur innocence les a négligées et épargnées, sans songer sans doute qu’il respectait l’essentiel, le sceau jacobite de la maison et du blason, l’enseigne même de la maison. Donosteya, ancien abri de pèlerins timbré de la coquille, s’est développé en harmonie avec la chapelle homonyme Saint-Etienne, pour devenir maison forte et maison noble, sur considération des services rendus et sur distinction des mérites d’origine.
Dans la vallée de Lantabat comme dans la plupart des autres vallée bas-navarraise, gîte et étape s’ouvraient au pèlerin plus ou moins égaré ou écarté de la route. Le prieuré de Behaune recevait aussi bien les pèlerins descendus du col d’Elhigna par le chemin de la maison Obiloa de Beyrie et du vieux pont d’Obiloa, que ceux qui longeaient la vallée de la Joyeuse par la maison Composta d’Aincie, par Behaune et la chapelle Oxarty d’Iholdy, ancien ermitage où un service était assuré selon la tradition aux pèlerins cheminant de Saint-Palais à la commanderie d’Irissarry, et où se perpétue entr’autres cultes celui de la marche des petits enfants. Il est malaisé d’établir à quel moment l’itinéraire de la vallée a prévalu sur celui de la montagne d’Aspine et du col d’Elhigna.
De Behaune à Ostabat, l’ancien chemin des seigneurs de Luxe ne suivait pas le tracé actuel en direction du col d’Ipharlatcé et en vue d’Ostabat. Il montait directement du pont de la maison Pagadoya vers la maison Harisburu, aujourd’hui disparue, et le col d’Ipharlatcé.
L’écart de Saint-Etienne de Lantabat conduisait au fond de la vallée vers l’église Saint-Cyprien d’Azkonbegi et sa croix bas-navarraise en pierre, et vers le col des palombières ou de Suhescun. Le cimetière d’Azkonbegi, un des mieux conservés du Pays Basque, est resté fidèle à ses discoïdales, et il ne faut pas moins que l’attachement que leur porte la population pour les protéger et mettre en déroute les amateurs de statues et de vieille pierres qui viennent tenter l’aventure au fond du cul-de-sac. Des grottes appelées Ganbera Zaharre, chambre ancienne, rappellent les gîte des laminak à Azkonbegi, ces êtres de la mythologie des profondeurs qui se répandirent en pays Basque.

(1) Raymond Etchats, Histoire des Seigneurs de Luxe, Saint-Palais 1926.
(2) Archives de Navarre à Pampelune, carton III, p. 24. et
(3) Jaurgain, La Vasconie, tome II, page 65. Oihenart , Notitia utriusque Vasconiae, pp. 264-266.
(4) Archives de Pau, registre des Etats généraux de Navarre, année 1665, f°2, page 12.
(5) Follia Christiana, t. 1, Instr. pp. 201-202.
(6) Registre des Etats de Navarre, Archives des Basses-Pyrénées, 1698, f° 269, p.1. Et 1699, f° 277, p. 1.
(7) Registre des Etats de Navarre, Archives des Basses-Pyrénées, 1702, f° 324, p.1.

Note
Reprise très synthétique de cet article dans le passage d’un article de Clément Urrutibéhéty Coexistence de la féodalité et du franc-alleu en Basse-Navarre, Société de Sciences lettres et arts de Bayonne, n° 129, 1973, Fiefs du seigneur de Luxe, pages 103 et 104.

Les communautés de donats

Clément Urrutibéhéty
Gure Herria, 1958eko urria-4

«Il n’y a dans tout le royaume, écrivait l’intendant Le Bret au début du XVIIIe siècle à propos de la Basse-Navarre, ni chapitre, ni couvent d’hommes, ni de filles». Les communautés religieuses monacales étaient en effet inconnues en Basse-Navarre. Elles vivaient à son pourtour, à Lahonce, en Labourd, à Arthous et à Sorde dans la diocèse de Dax, à Saint-Sever en Gascogne, en Béarn, à Roncevaux en Haute-Navarre. Leur influence s’est cependant exercée en Basse-Navarre, spécialement celle de Sorde. Des échanges se sont établis avec les moines bénédictins de l’abbaye Saint-Jean-de-Sorde, facilités par la situation de l’abbaye sur la voie principale de pénétration dans le royaume de Navarre, de Dax à Pampelune, et par l’appartenance commune de Sorde et des pays de Mixe-Ostibarret au diocèse de Dax, jusqu’au Concordat de 1801.
Les possessions désignées dans le Cartulaire de Saint-Jean-de-Sorde au XIIe siècle, s’étendaient en Mixe et Ostabarret, aux églises Saint-Sébastien de Beirina à Biscay, Saint-Félix de Garris, Saint-Julien de Beyrie, Saint-Martin d’Orsanco, Saint-Saturnin de Gensane (maison Gencena d’Orsanco), ainsi qu’à une chapelle de Saint-Just.
Des Bas-Navarrais, outre leurs biens, donnaient leur personne à Dieu et à Saint-Jean-de-Sorde, d’autres leur fils comme moine, d’autres un paysan, c’est-à-dire un domaine avec celui qui l’exploitait. Des contrats prévoyaient en contrepartie le couvert, la garde d’un enfant malade… La sépulture à l’abbaye était très demandée. A maintes reprises, pour mettre un terme à des contestation d’héritiers, des indemnités pécuniaires sont versées par l’abbé.

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Ce que l’on trouve en Basse-Navarre, ce sont des établissements hospitaliers nombreux, créés à la faveur de l’élan généralisé du pèlerinage de Saint-Jacques en Galice, sous l’égide de l’ordre des Prémontrés, des chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem ou de Malte, des Augustins, ainsi que des institutions particulières de conception différente.
Le prieuré-hôpital de Behaune s’était vu confié dès sa création aux Prémontrés de Lahonce. Les chevaliers de Malte possédaient les deux puissantes commanderies d’Aphat-Ospital et d’Irissarry. Les Augustins de la collégiale Notre-Dame de Roncevaux exploitaient, par l’entremise des commandeurs, d’importants domaines agricoles, commanderies doublées d’un hôpital, implantées dans la pays de Cize, à Saint-Michel, à Mocosail de Lasse, à Errecaldia de Bussunarits, à Arsorits de Saint-Jean-le-Vieux, auxquelles s’ajoutaient celle de Bidarray dans la vallée d’Ossès, d’Ordiarp en Soule, de Bayonne, de Bonloc en Labourd, celle non identifiée d’Alçu, et d’autres encore au-delà du Pays Basque.
Les revenus en étaient distribués à Roncevaux, un tiers pour le prieur, un tiers pour le chapitre, le dernier tiers réservé aux pauvres et aux pèlerins. Mais la plupart des institutions hospitalières destinées à l’hébergement des pèlerins (nous en avons dénombré une vingtaine dans le seul pays Mixe-Ostabarret), les prieurés-hôpitaux en particulier, plus intimement et plus directement associés à cette assistance, formaient des communautés originales assez répandues en Pays Basque. A la tête du prieuré-hôpital, un prieur, curé primitif du lieu, entouré de quelques benoites et donats. L’institution des benoites, sœurs ou béates, était généralisée et connue dans chaque paroisse et annexe. Les donats, au nombre de six au prieuré-hôpital d’Utziat, étaient des laïcs engagés au service de l’hôpital et du prieur. Ils élisaient le prieur. Le prieur choisissait à son tour les donats.
Ces donats, ou condonats, ou frères donats, donati ou condonati, participaient à l’action du prieur, donnés au service des pèlerins, voués ensemble à la marche de la communauté hospitalière. Ils avaient quelque part aux offrandes. Ils habitaient des maisons à l’entour de l’établissement de soins. C’étaient de véritables patrons laïcs, successeurs, a-t-on suggéré, des moines de l’Église naissante au Pays Basque, liés par le vœu de chasteté viduale, c’est-à-dire qu’ils ne pouvaient se remarier après veuvage. Ils jouissaient des avantages des présentateurs laïcs et élisaient en conséquence le prieur.

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L’organisation des principaux prieurés-hôpitaux d’Utziat, d’Haranbeltz et de Saint-Palais était analogue, d’après le témoignage de l’intendant Le Bret, et ce type de communauté formé du prieur et des donats devait se propager, pensons-nous, à la plupart des hôpitaux basques. Tel est le cas du prieuré-hôpital d’Ainharp en Soule, sur la vieille route de montagne de Licharre (Mauléon) à Saint-Palais.
Sept donats entouraient le prieur. Leurs maisons se groupaient autour de l’hôpital, aujourd’hui disparu, dont les vestiges ont été signalés un peu au-dessus de l’église actuelle. La liaison de voisinage et liaison d’engagement dans une véritable équipe hospitalière. L’on retrouve encore ces anciennes maisons de donats, à une exception près, autour du clocher du village. Un document tiré des manuscrits d’Athanase Belapeyre, curé de Chéraute, vicaire général et official, les désignait ainsi: «Gohenetche, Borde, Etcheberri, Cases, Peralt, Etchevers, Elissalt du dit lieu d’Ainharp».
Du groupe, seule a disparu aujourd’hui la maison Elissalt. Quant à la maison Gohenetche, elle a subi un renversement morphologique de fond en comble, d’où est issue la maison Etchegohenia, appellation du presbytère actuel. On peut dire, sans forcer la réalité, pensons-nous, que la communauté des donats d’Ainharp, dont les maisons de la place perpétuent le souvenir, a constitué le foyer attractif, et sans doute le foyer d’origine de la communauté du village, proposition qui rejoindrait l’hypothèse du Pr Elie Lambert sur l’origine jacobite de certaines communautés villageoises en Pays Basque.

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Un autre exemple d’implantation jacobite suivant le mode communautaire prieur-donats se voit en Ostabarret à Haranbeltz. La structure primitive d’Haranbeltz n’a guère varié au cours des siècles, dans ses éléments de base. Ce hameau vit replié sur lui-même, à l’écart de la Bidouze et de la route de Saint-Palais à Saint-Jean-Pied-de-Port, autour de l’ancienne chapelle prieurale. Deux maisons de chaque côté du vieux chemin jacobite de Saint-Palais à Ostabat, quatre familles et leur chapelle Saint-Nicolas, sont l’abrégé de huit siècles tournés vers l’unique affaire du pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle.
Le 23 pluviose an III, la maison où logeait l’ex-prieur d’Haranbeltz et la maison affectée aux indigents étaient adjugées pour 5000 livres aux citoyens Arnaud d’Etcheverry, Arnaud Etcheto, Jean Salla et Jacques Borda. Ces quatre noms sont ceux des quatre maisons du hameau. Ils se rendirent acquéreurs d’immeubles dépendant de l’ancien hôpital fondé par leurs propres ancêtres, selon une tradition recueillie par M. Maurice Vivier, auteur d’une plaquette sur les «biens nationaux du district de Saint-Palais».
Il existe des documents pour relayer la tradition, pour désigner ces mêmes quatre famille aux offices du prieuré-hôpital, comme elles l’ont été à sa fondation et au feu des enchère révolutionnaires. Ils disent que les frères donats de l’hôpital appartenaient à ces maisons. En 1624, Pierre d’Uhart est élu prieur par François, sieur d’Etcheverry, Guillem, sieur de Borda, et Arnaud, sieur de Borda, réunis dans l’église d’Haranbeltz en leur qualité de condonats ou frères donats de l’hôpital, pour remplacer Pierre de Reten. En 1667, Pierre d’Uhart, âgé, donne sa démission le 12 février, et prie les frères donats de lui donner pour successeur Jacques d’Uhart, son neveu. Le lendemain 13 février, Joannes, sieur de Borda, Charles, sieur d’Etcheverry et Arnaud, sieur d’Etcheto, patrons laïcs du dit prieuré en qualité de donats de l’hôpital, nomment le dit Jacques d’Uhart qui depuis six ans exerçait les fonctions de vicaire (1).
Un millénaire de fidélité va bientôt sonner pour la famille Etcheverry, enracinée dans sa maison souche, voisine du cimetière de la chapelle, et contiguë jadis à la Maison prieurale. Une date est scellée en façade, au-dessus de la porte d’entrée en plein cintre:
Maison bâtie en 984
Rebâtie par Arnaud Detcheverry et
Jeanne Anchie maître et maîtresse
Anno 1786
L’hôpital Saint-Nicolas d’Haranbeltz est cité en 1039 dans une donation de Lop Eneco, vicomte de Baigorry. Et il est probable, comme le suggère Colas, que la date de 984 corresponde à la construction du prieuré-hôpital. Elle doit refléter un évènement important dans l’histoire de la famille Etcheverry, et l’évènement le plus mémorable paraît bien être cette fondation ancestrale, cette création d’une communauté hospitalière de donats.

(1) D’après l’abbé Larramendy, curé de Garris. Cf. Les prieurés et frères donats d’Ainharp, Saint-Blaise, Utziat et Haranbeltz par Daranatz. Bulletin de la société de sciences lettres et arts de Bayonne, octobre-décembre 1938.

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