Clément Urrutibéhéty: Lantabat dans l'ouvrage Terre des Basques
La
vallée de Lantabat
Clément
Urrutibéhéty
Extrait
de Terre des Basques, terre d’accueil, sixième partie, Amis
du chemin de Saint-Jacques, 2009.
Chapitre
I, La vallée de Lantabat, donation de la grange de Behaune.
Chapitre
II, La vallée de Lantabat, Marc Antoine d’Eliceiry, prieur-curé
de Behaune.
Chapitre
III, La cour générale de la vallée de Lantabat.
Chapitre
I
La
vallée de Lantabat
donation
de la grange de Behaune
La
vallée de Lantabat a été
érigée en baronnie au XIe
siècle en même temps que les baronnies de Luxe et d’Ostabat, sous
un nom gascon comme Ostabat. Elle s’entoure de collines qui lui
donnent son unité et sa spécificité, sa richesse en tumulus, en
camps protohistoriques de Gazteluzahar, d’Ilhramunho et de
Hocha Handi, en postes de chasse et en labaki,
terres anciennes défrichées et brûlées.
Il
n’est d’ouverture que vers la Joyeuse, et dans l’escalade du
col d’Ipharlatze vers Ostabat, du col des palombières au fond du
cul de sac, ou du col de Lapahartzale vers Iholdy. La vallée a
imposé son moule naturel à ses quatre quartiers et à ses églises
de Behaune, de Saint-Martin, de Saint-Etienne et d’Azkonbegi.
L’unité
de la vallée était représentée par une cour générale, une
assemblée démocratique des maîtres de maison, gestionnaire des
terres communes, qui se réunissait «au
devant de la maison d’Etchechoury, lieu accoutumé pour tenir les
assemblées générales dud. lieu
de Lantabat». La maison
Etchechoury se trouve au quartier Saint-Martin, en bordure de
l’ancien chemin royal,
errege bidia, conduisant par les maisons Salla et Arhanzeta et le col
de Laphartzale d’une part et le camp d’Ilharamunho d’autre
part.
Les
maîtres de maison anciennes de Lantabat étaient en procès avec les
maîtres des petites maisons, dernières nées sur les terres
communes, qui réclamaient les mêmes droits. Ils donnaient
procuration au prieur de Behaune, Marc-Antoine d’Eliceiry, et à
Iriart représentant les maîtres anciens la 12 août 1663 devant la
maison Etchechoury. Les maîtres des petites maisons ne participaient
pas aux délibérations.
Donation
de la grange de Behaune aux Prémontrés de Lahonce
Pierre
Arnaud
de Luxe fit donation en 1227 du lieu de Behaune et de ses dépendances
à l’abbé Nicolas de Damazan et aux Prémontrés
de l’abbaye de Lahonce pour la salut de son âme et de celles de
ses ascendants et descendants, avec le consentement de l’évêque
de Dax, Gaillard, et de l’archidiacre de Mixe, Amanieu. Le document
n’oublie pas leurs procurateurs présents à la cérémonie. A côté
des clercs se trouvaient des frères et des sœurs à
demeure à Behaune, «in
presentia plurimorum clericorum et etiam fratrum et serorum ibidem
degentium», en présence
de nombreux clercs et aussi des frères et des sœurs y résidant.
Leur communauté a dû se fondre dans la nouvelle règle. Que
changeait pour eux la passation de la grange de Behaune à l’ordre
des Prémontrés? Ils restaient usagers des pacages sur les terres du
seigneur et tributaires de l’économie pastorale et forestière.
L’importance de la forêt et des pâturages était soulignée par
l’acte de donation sur l’autel de l’église de Behaune, au
moyen d’une branche d’arbre et d’une motte de terre gazonnée
«par ramum et per
cespitem».
Les
frères et les sœurs étaient les témoins privilégiés
du serment du seigneur de Luxe de protéger les religieux et de
garantir la donation contre toute opposition et contestation, toute
atteinte étant passible d’excommunication
sous l’autorité
pontificale
du prieur d’Utziat. Etaient
présents avec le prieur d’Utziat deux frères du donateur, Bernard
de Luxe, moine de Lahonce, et Loup Bergon de Luxe, moine de Sorde.
Sans doute fut-il demandé aux frères et aux sœurs de prêtre ou
renouveler leur vœux et leur engagement. L’essentiel n’est-il
pas qu’ils soient sortis de l’oubli à l’occasion de cette
donation en leur présence, au
moyen d’une tranche
d’arbre et d’une motte de terre? Un prieur à leur tête
remplacera le granger,
responsable de la grange, et un prieuré-hôpital se substituera à
la grange.
*
Le
seigneur de Luxe gardait des liens avec l’hôpital de Behaune. Il
donnait procuration le 13 janvier 1504 à Jean d’Olce d’Iholdy
pour le représenter à l’assemblée des trois Etats dans le corps
de la noblesse, par acte notarié scellé du sceau de Pierre de Luxe,
notaire à Ostabat: «Asso fo feyt en lantabat en l’ospitau
de Behaun», témoins Jean de Haramburu de Saint-Etienne et Me
de Bistan, notaire à Saint-Palais.
« …lo
mot noble e poderos Shor moss. Jehan cavaler Shor de Lucxe sentz
revocation de sus procurors per luy entro acy feytz, de nobet en las
melhor vie forme e manere que de dret for e costume far pot ni deu,
ha instituit creat ordenat establit mes et pausat son certan bray
legitim abastant et indubidat procuror actor factor defencedor e deus
negocis jus scriutz… es assaver Johan Shor dolzo dihot… en nom et
vegade deud Shor contituent comparir et representar par davant la
Real Magestat, son sobiran conselh et los tres estatz, et aqui audir
lo que par la Real Magestad sere prepausat, et sus agero debater
razonar responer et concludir par si medixs et ensemps ab los tres
estatz o ab lo major partide o autrement far cum bon vist ly sera...»
(1)
Arnaud
de Domecq, prieur chanoine régulier de l’ordre des Prémontrés
apparaît en 1703 sur les registres. Décédé à l’âge de 77 ans,
son corps est transporté le 11 avril 1747 à l’abbaye de Lahonce.
Confirmation
de la donation de Behaune
Les
frères et les sœurs
de la grange de Behaune
firent soumission en 1227 entre les mains de l’abbé de Lahonce.
Celui-ci
accepta et reçut leur engagement, parce qu’ils n’appartenaient à
aucun ordre religieux, quia
nullius ordinis erant,
et qu’il ne trouvait nulle trace d’appartenance religieuse
quelconque, nec ibidem
vestigium aliquod religionis cujusquidam invenit.
La
charte de
confirmation de Jean, seigneur de Luxe, en 1474, mentionne les frères
et les sœurs, et le régisseur, le granger à leur tête, granger,
frays et sors de Behaune qui de present son.
Ils continueront à disposer, ainsi que l’abbé et les religieux de
Lahonce, d’une part du bois bedat et du libre accès de tous les
pâturages de Lantabat. Leurs successeurs, frères et sœurs,
deputats, creats, mes et
pausats, par l’abbé
et les religieux de Lahonce, jouiront des mêmes prérogatives.
Il
est mention des donats et
donades bénéficiaires
de la donation, donats et
donades de Behaune per lod conbent eslegits et deputats et pausats.
Le
seigneur de Luxe renonçait
à ses droits de seigneurie au lieu de Behaune. Il garantissait une
totale protection, et les assurait contre tout dommage, comme s’il
s’agissait de sa propre maison, le château de Luxe, ainchi
cum mon ostau de luxa.
Jean de Luxe reconnaissait la charte, directement, per
libramant de terre, fust, herbes verdes et seques de ma man dextre a
la vostre man dextre,
par délivrance de terre, bois, herbes vertes et sèches de sa main
droite à la main droite de l’abbé. A la condition expresse,
ajoutait-il, que les donats et donades pussent jouir et profiter de
toutes et de chacune des clauses, comme ils en avaient usé
jusqu’alors. Ils disposaient en particulier d’une part du bois
bedat de Behaune et de la glandée.
Pièce
justificative
Eglise
Saint-Paul de Saint Palais, 9 août 1474
Archives
départementales des Pyrénées-Atlantiques, H 126
Jean
seigneur de Luxe, confirme au couvent et à l’abbé de Lahonce, Pes
de Beyrie, la charte de donation de Behaune en 1227 par Per Arnaud,
seigneur de Luxe. Témoin, Bertrand du Fossé, prieur de
Saint-Palais.
«...ab
tenor de las presentes corrobori, confirmi, ratifiqui, laudi et
aprobi lad donnation, gracy et aumoyne per le,
abat modern deud. Monaster de Lafonce odict
mossr Per Arnaud qui fo ausd. Abbat et frays de Lafonce dabant feyte
et toutes et sengles las causes en lad. Carte de privilegi et
donnation o gracy contengudes,
specificades, designades et declarades,
et augmentan lodict
privilegi, donnation et gracy per los movemens et causes susd., et
per major validation de totes et segles las causes susdites,
certificat de tout mon dret, action, seignorie que jo ey et devi aber
en lad. Terre de Lantabat, per tenor de la presentes fas par my et
per mons hers, nats et nacher, nobere donation, aumoyne et gracy de
la part deu Bedat de Behaune mentengude en la quarte dud. Provilegi,
et de la gaudide deus hermes, herbes fruts, aygues de la terre de
Lantabat, et de toutes les autres causes en ad. De privilegi o
donnation contengudes, expressades et decklarades, ausd. Mossr pez de
Beyrie, abat modern deud.
Monaster de Lafonce et aux frais dequet, et au granger, frays et sors
de behaune qui de present son, o per temps seran deputats, creats,
mes, et pausats en nomy et deud. abat et conbent de Lafonce, qui d
epresent es, o per temps sera, asso perpetuamens sens fin et sens tot
contracts, violation ny autre prescription de contrarietat de degune
manera ny par degune cause, et per so depouillan de Senhorie et
depossedin a mi medix et a tots mos hers nats et a nacher de tot lo
dret, action, Seignorie, et podestat que yo abi et aver debi et podi
en lo locq de Behaune a cause de lasd. aumoynes, causes donades en
lad. carte de donnation contengudes, meti, institui, et constitui
vertader Sor et possessor a vos dict mossr Labbat de Lafonce, et a
vostre conbent et a vostres sussessors abbats et conbent de Lafonce,
per thenor de la presente carthe de donnation, et per librament de
terre, fust, herbes verdes et seques, de ma man dextre a la vostre
man dextre, en segnau de possession de atau forme et condition que
losd. abat, fraix, grange, donats et donades de behaune, per lod
conbent eslegits et deputats et pausats se pusquen gaudir et
aprofeitar de totes et sengles las causes susd. et de une dequeres,
ainchy que a chacun es permes de far de cause donade, e second et per
la forme que dequi a present an usat, gaudit ar profeytat… So fo
feit en la gleyse de St pau de la ville de St palais a nau journs deu
mes d’agost anno a nativitate Domini mile quoate cens septante
quoate, testes son qui fon au loc et per taus se autreyan Mossr
Bertrand deu fossat, prior de St palys, Messr pes de Berescoiaitz,
tristant Segnor D’Eliceiry de Lantabat, Me Bernard de Biscay
notary, et Johaon de Bidents, vesins de St palys, et yo peyreton de
Luxe, public notari d’Ostabat per authoritat reyau en tot lo regne
de navarre qui la presente carta retengui...»
Chapitre
II
Vallée
de Lantabat
Marc
Antoine d’Eliceyrie, prieur-curé de Behaune
Les
actes notariés rédigés de la main de Goyeneche, notaire royal,
dans la maison prieurale, rapportent
brièvement les différends qui opposèrent les maîtres de maisons
anciennes de Lantabat aux maîtres de petites maisons. Les premiers
eurent à soutenir un procès au parlement de Pau durant 15 à 20 ans
contre les maîtres des petites maisons créées sur les terres
communes. Ceux-ci réclamaient leur part du bois bedat de Behaune.
L’attribution de quatre arpents des autres terres communes était à
l’origine de ces petites maisons.
Les
maisons anciennes ou grandes maisons, à qui la cour reconnut la
propriété du bois, contractèrent divers emprunts pour la poursuite
du procès, montant à plus de 10.000 francs. Elles durent vendre, en
paiement de cette somme, mille cinq cents pieds de chêne du bois de
Behaune à noble Pierre, sieur de la Salle d’Eliceiry.
De
cette vente, les maîtres des petites maisons exigèrent le cinquième
à chaque maître des grandes, ainsi que la cour l’avait reconnu
pour le glandage du même bois. Un autre procès s’en suivit
pendant deux ans afin de les débouter de leurs prétentions,
entraînant de nouveaux frais pour les maîtres
des maisons anciennes et un nouvel emprunt de 2080 francs. La part de
chacune des grandes maisons s’élevait à 40 francs, y compris la
maison prieurale.
Le
12 août 1663, une
assemblée générale des maîtres des maisons anciennes se tenait au
devant de la maison Etchechoury, et donnait procuration à noble
Marc Antoine d’Eliceiry, prieur de Behaune, et à Joannes d’Iriart
de Saint-Martin de Lantabat,
afin de poursuivre la
procédure au parlement
de Pau sur la propriété du bois de Behaune et la dévolution de
l’argent provenant
de la vente des 1500 chênes. Ils étaient habilités à emprunter
200 livres tournoises pour leurs frais.
Outre
les deux procureurs, étaient présents le baile de Lantabat, noble
Louis de Haramburu, noble Jean d’Elissalde, sieur de la salle de
Saint-Etienne, noble Simon, sieur de la salle d’Eliceiry, Joannes
de Cuheratzu, Joannes d’Iribarne, Jeannot d’Inchaurchoury, Peillo
d’Otheguy, Bertrand d’Amestoy, Joannes de Recalde, Joannes de
Harispuru, Jayme d’Apitz, Jaonnes d’Uhart, Domingo de
Landetcheberry, Beignat d’Arsaphalo, Sans de Larralde, Arnaud
d’Ondaits, Joannes d’Etchegoin, Sansot de Berhoet, Beignat
d’Iturburu, Ramon d’Ilharre, Pierre d’Oyhenart.
Le
procès terminé en 1665 en leur faveur, il restait à chacun
d’honorer la dette de 40 francs ou, à défaut, de vendre au prieur
de Behaune sa part du bois bedat de Behaune. Beaucoup eurent recours
à la vente de leur part en faveur du prieur Marc Antoine d’Eliceiry:
père
et fils de la maison Gernais d’Azkonbegi le 8 décembre 1665;
Joannes d’Etcheverri,
maître propriétaire et
Pedro d’Elhorri, maître adventice de la maison Etcheverri
d’Azkonbegi le 12 décembre 1665; maître propriétaire de la
maison d’Etchart d’Azkonbegi la 20 décembre 1665; Pedro, maître
propriétaire de la maison de Bodart de Saint-Martin le 20 décembre
1665. Le même vend la part de la maison d’Ondars de Saint-Martin
le 20 décembre 1665; Joannes de Curutchet, maître adventice de la
maison de Laco d’Azkonbegi la 10 juin 1666; Pierre, propriétaire
de la maison
d’Oyhenart de Saint-Martin, et Joannes d’Otheguy,
maître adventice, le 6 septembre 1666; Sansot, maître propriétaire,
et son fils, de la maison Berhouet de Saint-Martin la 10 janvier
1668; Jeanne, maîtresse de la maison Uhalde
de Saint-Matin; Joannes, maître propriétaire de la maison d’Uhart
de Saint-Etienne,
la 30 décembre 1669; Tristan, maître ancien de la maison Phagadoy
de Sint-Martin le
22 avril 1670. La même
vend la part de la maison Requeta de Saint-Martin le 22 avril 1670,
et celle de la maison Oiharquo la 22 avril 1670; Joannes, maître
propriétaire
de la maison Etchebarne d’Azkonbegi le 2 novembre 1671; Joanneto,
maître propriétaire
de la maison Iriart de Saint-Martin le
2 octobre 1673. Le
même vend la part de la maison Lapits de Saint-Martin la 2 octobre
1673; noble Bertrand vend la part de la maison Haramburu de
Saint-Etienne la 12 mars 1675; Jeanne, héritière de la maison
Etcheberri
de Saint-Martin, la 16 janvier 1678; Joannes, maître propriétaire
de la maison
Diribarne de Saint-Martin, le 14 juin 1679, et la liste n’est pas
exhaustive.
Ils
cédèrent leur part de
façon définitive, sans réserve de rachat, au prix de 200 francs
bordelais la part, et furent réglés en partie en argent, en partie
en nature, sous forme de bétail, de paire de bœufs, d’une
barrique de vin ou de tuiles, à raison d’une livre dix la canne,
fournies par le prieur.
A
ces activités de vicaire général et de représentant du clergé
aux Etats Généraux de Navarre, l’industrieux prieur ajoutait
celle d’exploitant forestier de d’acquéreur de bois bedat.
Activités
forestières
A
lire le mémoire de l’intendant de Froidour, la vallée de Lantabat
était couverte d’arbres, une véritable forêt entourée de
montagnes pelées, sans autre plant que des fougères et quelques
naissances de tauzins. Le bois était tellement abondant que personne
ne se mettait en peine de le transporter.
Marc
Antoine d’Eliceiry accompagnait l’intendant d’Ossès à
Lantabat la 13 novembre 1672, avant son parcours en Ostabarret.
Quantité
de bois coupés et débités en planches destinées aux vaisseaux
pourrissait dans la vallée de Lantabat. Ayant une connaissance
particulière, le prieur avait continué, disait-il d’en vendre à
des marchands de Bayonne, et devait fournir cent mille pieds de
bordage au sieur Dumont, commissaire général de la Marine. Mais
celui-ci refusait de lui avancer l’argent convenu, faute de quoi la
bois périssait sur place. Par sentence arbitrale entre les parties,
il fut décidé que le commissaire de la marine payerait la somme de
2400 livres, et que le prieur lui livrerait une partie des bois en
retour.
Passant
outre la sentence, le commissaire le faisait assigner au parlement de
Toulouse, hors de la juridiction de Navarre, à l’encontre des
règlements du pays. Le prieur avait écrit à ce sujet à
l’intendant de la marine, Colbert de Taron, et attendait une
ordonnance.
Marc
Antoine d’Eliceiry n’innovait pas à Behaune. Il suivait
l’exemple de son prédécesseur, intéressé par les hêtres et les
sapins de la forêt d’Iraty, à qui s’adressait le reproche de
l’intendant Lebret: «Cette
forêt a été fort dégradée tant par le feu prieur de Behaune qui
s’était mêlé autrefois de fournir la marine, que par les
habitants de Navarre et de Soule».
Un
autre intendant de la marine, le président Gassion, rendit deux
jugements opposant Marc Antoine d’Eliceiry, prieur de Behaune, à
Jean de Hontabat, bourgeois et marchand de Bayonne. Celui-ci fit
appel au Conseil d’État, mais
des amis communs leur firent accepter une transaction le 1er
février 1681 dans la maison prieurale de Behaune, transaction basée
sur celle du 1er
novembre 1673 et sur des règlements du président Gassion, à propos
de planches et de boisages délivrés par le prieur.
Jean
de Hontabat reconnaissait
lui devoir 850 livres, payables moitié fin octobre prochain, l’autre
moitié dans un an. Il s’engageait à lui faire remettre par
Tristan de Salha acquit et décharge d’une somme de 1500 livres
dans
le terme de 15 mois, et arrêter pendant ce temps les poursuites que
Salha pourrait entreprendre contre le prieur. Il promettait en outre
de restituer au prieur ou à son mandataire dans les huit jours une
chaîne d’argent de mesurage, et dans un mois les pièces énoncées
dans la première transaction. Il s’obligeait enfin à ne pas
attirer le prieur dans une juridiction étrangère, et à faire venir
Raymond Dupuy, son commis, dans trois mois au plus tard à
Saint-Palais, afin de vérifier ses compte avec le prieur. En
conclusion, Jean de Hontabat renonçait à son appel en Conseil
d’Etat, et acceptait le jugement de l’intendant de Marine
favorable au prieur (2).
*
A
l’instigation
du prieur de Behaune, deux transporteurs de Labets arrêtés au lieu
de Came,
aux rives de la Bidouze, se virent saisir neuf charretées
d’aviron; et les particuliers de Saint-Just qui les avaient
façonnés, emprisonnés à Saint-Palais en vertu d’un décret pris
par le sénéchal de Saint-Palais,
sous couvert de la grande
Maîtrise du Languedoc, qui
n’avait ni juridiction ni droit d’inspection en Basse-Navarre.
Les Etats, mandatés pour l’observation des fors, réagirent en
conséquence par règlement du 22 juin 1667.
«Les
Estats ayant pris à grief l’arrestement fait par le Sr
dellusseiry, prieur de Behaune, dans le lieu de Came
de neuf charretées d’aviron y transportés par les nommés
Celhay et Peritcho de Labets, comme contraire à la liberté
publique, et l’emprisonnement fait de certains particuliers de St
Just pour avoir façonné lesd. avirons en conséquence d’un décret
de prise de corps décerné contre eux par le Sr de la Salle,
lieutenant général au Sénéchal de St-Palais, en qualité de
subdélégué du Sr de Fredou, grand maître des eaux et forêts du
Languedoc, comme contraire aussy aux
droits et privilèges du Royaume, où les maistres des eaux et forêts
n’ont nulle inspection ny juridiction. Il a ésté ordonné par
appointement du 22° juin 1677 rendeu par Monseigneur le mareschal de
Gramont que led. Sr de Lassalle remettra son prétendu tiltre pour
estre examiné entre les mains des commissaires quy seront à cest
effait nommés par les Eztats,
et que cependant les
avirons saisis seront rendeus auxd. Celhay et Peritcho, et les
prisonniers élargis, et que les portes des prisons seront ouvertes
aux prisonniers détenus aux prisons de St-Palais,
sy ainsy il est cogneu et jugé».
Les
bénéfices du négoce permirent au prieur de réaliser diverses
opérations,
l’achat
de maisons, le prêt d’argent et la constitution de dot. La somme
dotale en faveur de Gratianne
d’Eliceiry, mariée dans la maison d’Oyhenart de Saint-Etienne,
s’élevait à 770 francs
bordelais, réversibles au prieur en cas de dissolution de mariage
sans légitime postérité. Elle recevait en complément un lit
garni, le drap d’un manteau pour la dame ancienne, un pourceau,
2000 tuiles, un tonneau de cidre, «prest
à mettre de la pommade»,
32 francs 8 sous pour l’achat de 12 jeunes brebis, et 40 francs
pour l’achat d’une génisse, le tout réversible ainsi que la
somme dotale, en cas de dissolution sans légitime postérité.
Au
moment des comptes, le 18 octobre 1865, en présence de Tristan de
Carricabru de Saint-Martin, et de Jean Tastet, ouvrier de la monnaie
de Saint-Palais, le prieur ajoutait 12 francs pour l’acquisition de
plantons de pommiers et d’autres travaux. Mais il demandait le
paiement de 33 francs 5 sous pour deux années échues de la prébende
d’Astoby. Marc Antoine d’Eliceiry était en effet prébendier de
la prébende d’Astoby fondée au capital de 210 francs, et de la
prébende de Carricaburu fondée au capital de 200 francs.
La
dame de Socarro et de Saint-Etienne de Lantabat, et son fils, noble
Etienne d’Elissalde, signent une reconnaissance de dette au prieur
les 29 et 3 janvier 1693, après lecture en basque, pour être
entendue de la mère.
Etienne
d’Elissalde, sieur Socarro et de Saint-Etienne, lui emprunte la
somme de 100 francs bordelais faisant 75 livres, pour un voyage à
Paris en 1686, plus 403 livres réclamées par un tiers en 1688, plus
132 livres réclamées par un autre. En 1689, le prieur lui consent
en outre un prêt de 30 livres pour le départ d’un frère aux
armées. 60 livres en 1691 et 4 conques de froment, à 4 livres la
conque, pour les frais de messe nouvelle d’un autre frère; et 60
livres en 1693 pour subvenir aux nécessités de ses propres noces,
soit un total de 776 livres sur lesquels se greffaient 155 livres, 12
sous, 4 deniers d’intérêts.
*
Dans
la maison prieurale, Marc Antoine d’Eliceiry, prieur de Behaune,
achète à Johannes de Garicotche, par contrat du 9 février 1664, la
maison Etcheberipe
de Behaune, au prix de 1600 francs bordelais, 300 francs de vigne, et
1200 de terre, chaque arpent estimé à 192 francs. Il paye
en outre 75 francs pour la levée d’hypothèque. Une
partie des terres, située du côté du bois de Behaune, de «la
contenance de trois conques, une mesure de semensure qui peut estre
trois arpons et un quart»,
et l’autre pièce du côté de la montagne, d’une «contenance
de trois conques qui veult dire aussy trois arpans»,
équivalence ou approximation entre l’arpent de terre et sa mesure
de semence, la conque.
Le
30 janvier 1683, dan la maison de Padere d’Ostabat, Bernard de
Burgoçahar d’Asme vend ses droits de rachat, et avec le
consentement d’un oncle propre par alliance, la salle d’Etcheverry
d’Alciette avec ses bordes, bedat, terres cultes, prairies,
vergers, terres incultes, voies d’accès, prééminences, moulin,
fief, siège d’église et cimetière, comme aussi le droit de rachat
des terres aliénées et non prescrites, au prieur de Behaune, pour
le
prix
de 2400 francs bordelais, à quinze
sous
pièces.
Par
convention du 6 juin 1694 dans la maison prieurale, noble Marc
Antoine d’Eliceiry, prieur de Behaune, achète des mains de noble
Jacques de Negueloa, maître de la salle de Laxague d’Asme, le
droit de rachat du moulin à farine de la ville d’Ostabat, bâti
dans la forêt de celle-ci. Il est entendu que le maître de Laxague
libérera dans un an la moitié du moulin occupé par noble Pierre de
Capdeville de Saint-Palais, avant de le délivrer au prieur de 893
livres, payables au moment de l’entrée en jouissance. Le prieur
recevra en attendant l’intérêt de cette somme au dernier
dix-huit, les hypothèques et autres affectations pour l’assurance
des 893 livres.
Fondation
d’un séminaire à Saint-Palais
Par
testament du 19 octobre 1696, Marc Antoine d’Eliceiry instituait
comme héritier son neveu, Pierre d’Eliceiry, écuyer, à qui il
donnait en particulier 9000 livres pour son mariage, et l’ensemble
des parts acquises au bois de Behaune. Il léguait 600 livres à
l’église de Behaune, et 400 livres à l’hôpital de
Saint-Palais. La fortune du testateur ne s’arrêtait pas là. Il
résulte du testament de Pierre d’Eliceiry, établi dans la maison
Bastide de Saint-Jean-Pied-de-Port le 9 janvier 1698, et de son
codicille du 15 janvier, que ses propres legs, s’élevant
globalement à 12.400 livres, devaient être payés des biens
provenant de la succession de feu le prieur de Behaune, son oncle.
Les
Etats de Basse-Navarre eurent à délibérer en 1698 sur une clause
relative à la fondation d’un séminaire à Saint-Palais.
L’assemblée émit un vœu
favorables sur
présentation des sieurs d’Oyhenart et d’Anguelu: «feu
Marc Antoine d’Eliceiry, prieur de Behaune a fait une fondation
considérable par son testament en faveur des pères Jésuites de
Pau, pour l’établissement d’un séminaire dans la présente
ville de Saint-Palais, et que rien n’est si utile et si nécessaire
que de donner exécution à ce pieux dessein, qui n’a eu pour objet
que le bien et la gloire du service de Dieu qui dépend
principalement des ministres de ses autels, dont la conduite servant
de modèle à celle des autres, il est nécessaire qu’il y ait des
lieux saints où ils puissent apprendre à régler leurs propres
mœurs et à instruire les autres, et
que cet établissement est d’autant plus nécessaire dans le
présent royaume que les habitants étant très pauvres, les
ecclésiastiques et ceux qui veulent se faire promouvoir aux ordres
sacrés ne peuvent pas profiter de ceux établis ailleurs, à cause
des frais de chemin et du prix des pensions, au lieu qu’ils
pourraient payer ici leurs pensions en denrées et y vivre de peu.
Les
Etats ont délibéré que le syndic se pourvoira pour faire employer
à la fondation d’un
séminaire dans la ville de St Palais les biens en fonds et les
sommes léguées à cet effet par le feu prieur de Behaune,
conformément à son intention et à son testament, et empêcher que
les biens et maison fonds et argent ne soient employés à autre
chose, et faire au contraire que les fruitcts revenus et intérêts
desd. maisons
fonds et somme soient
conservés en accroissement du fonds et capital attendant lad.
fondation»
(3).
Ce
vœu et ce projet n’eurent pas l’agrément de l’évêque de
Dax. D’après le sieur de la Salle de Cibits, intervenant
aux Etats de 1699, l’évêque était disposé à établir, grâce
au legs, un séminaire au «St
Esprit, proche Bayonne»,
sur le rive droite de l’Adour, appartenant à son diocèse, et
s’opposait à la venue des pères jésuites à Saint-Palais.
«A
quoi
il est
nécessaire de pourvoir pour le bien et l’avantage du royaume et
de la ville de St Palais en particulier, laquelle servant à la tenue
des Etats toutes les années trouverait quelque douceur
par cet établissement, apte à fournir dans
la suite les choses nécessaires avec plus
de commodité, joint à cela que la ville de St palais, dans le
diocèse
de Dax, est à égale distance des diocèses d’Oloron, Bayonne et
Dax, le séminaire pourrait servir les trois diocèses, et que le
lieu étant dans une situation agréable où l’on respire le
mailleur air du monde, il est apparent que cet établissement sera
également bien goûté dans lesd. diocèses, et que les
ecclésiastiques et ceux qui désirent se faire promouvoir aux ordres
sacrés le choisiront
par préférence pour faire leurs retraites et pour leurs exercices.
Les
Etats ont arrêté que le Syndic fera sommer les pères Jésuites du
collège de Pau de déclarer s’ils veulent accepter le legs du feu
prieur de Behaune, à condition de fonder un Séminaire en la ville
de St Palais, suivant et conformément au testament, qu’il les fera
sommer aussi en cas qu’ils veuillent accepter auxd. conditions,
de fonder le dit séminaire incessamment et au plus tard dans
trois mois, et que faute par eux de faire leur déclaration ou
d’accepter led. legs, à la condition de la susd. fondation, il se
pourvoira où besoin sera pour faire ordonner la fondation dud.
séminaire dans la ville de St Palais, sous la condition d’autres
prêtres réguliers et séculiers approuvés, dignes et capables, et
que cependant il s’opposera au Conseil, et partout où besoin sera,
à ce que les
sommes et biens légués par led. feu Sr prieur de Behaune, ne soient
pas transportés hors du royaume, pour estre appliqués à autre
séminaire dans le diocèse de Dax ny Oloron, et faire les diligences
nécessaires pour les conserver à St Palais, et pour en procurer
l’établissement incessamment » (4).
Les
démarches du Syndic, et l’intercession promise du président des
Etats, restèrent sans suite connue et nous ignorons le sort final
réservé au legs de Marc Antoine d’Eliceiry.
Pierre
d’Eliceiry, prêtre, frère de Marc Antoine d’Eliceiry, lui
succédait au prieuré de Behaune. Il habitait chez son frère Simon,
dans la salle d’Eliceiry de Saint-Martin, où il fit donation entre
vifs en faveur de Simon d’Eliceiry le 7 septembre 1697, et où il
résolut de rester et de finir ses jours. Il
lui légua outre trois créances à recouvrer de 141, 162, et 75
livres, son bétail et tous les meubles et objets qu’il possédait,
«tant pour
l’amitié et affection qu’il a pour lui, que pour les bons
services qu’il lui rend journellement, et dont il espère la
continuation, que pour partie du paiement et satisfaction de sa
pension avec un domestique».
Et Simon d’Eliceiry promet «de
continuer son zèle fraternel, mesmes de lui continuer durant sa vie
sa table avecq les autres services requis et nécessaires».
La maison prieurale de Behaune était d’un commun accord délaissée.
Postulant
des Prémontrés et postulant des Etats de Navarre
Au
décès de Pierre
d’Eliceiry, un différend oppose l’Ordre des Prémontrés aux
Etats de Navarre, dans un procès concernant l’occupation du
prieuré par frère Marc Biscay, prieur de 1698 à 1702. Le 2 juin
1700, c’est la prieur frère Biscay, dit Bisquey, qui signe le
décès d’un pèlerin sur les registres de catholicité: «Pierre
natif de la paroisse de Cern en Perigort venant de St Jacques de
Compostelle, âgé de vingt ans environ, est décédé dans la
communion de la Sainte Eglise après avoir reçu les Saints
Sacrements avec dévotion. Son corps est enseveli au cimetière de
l’église paroissiale de Behaune par moy Frère Bisguey prieur».
Un second postulant était en lice, le sieur Domecq, soutenu par les
Etats. L’instance portée au Parlement de Navarre avait été
favorable à ce dernier. Il est déclaré aux Etats de Basse-Navarre
en 1702 que «le
possessoire dud. prieuré
par frère Marc Biscay, chanoine régulier
dud. Ordre,
a été jugé contradictoirement en faveur de Sr Domec prêtre».
Le général de l’Ordre et
son procureur, Ferry, prétendirent que la cause de frère Marc
Biscay ne pouvait être portée au Parlement de Pau, mais devait être
jugée au Grand Conseil, en vertu d’un privilège d’Ordre. Ils
obtinrent du Grand Conseil des arrêts favorables à Marc Biscay
dépossédant Arnaud Domecq.
Les
Etats demandèrent à leur tour l’annulation du jugement du Grand
Conseil, comme contraire aux lois du royaume de Navarre, les
habitants ne pouvait être écartés de leurs juges naturels pour
aller plaider hors du royaume. Le syndic fut chargé de présenter un
article au roi et d’intervenir dans l’instance pendante du
Conseil privé.
Le
président des Etats, lieutenant du roi, ordonnait l’application
des règlement invoqués, promettant d’intercéder auprès du roi
pour que soit accordé aux suppliants le contenu de leur article. Les
Etats obtinrent gain de cause, puisque Arnaud Domecq figure sur les
tablettes du prieuré de 1703 à 1747, après deux années, 1701 et
1702, de classement et de dévolution difficiles en faveur de l’un
ou de l’autre prieur.
Chapitre
III
La
cour générale de la vallée de Lantabat
Prémices
de la vallée
Les
habitants de
la communauté réunis en assemblée générale le 19 janvier 1784
dans
la maison Etchechoury, comme à l’accoutumée, demandent un
règlement d’ensemble sur les prémices ou premiers fruits (5), et
nomment deux syndics à cet effet, Pierre d’Eliceiry et Arnaud
Gélos. Les prémices perçues par le sieur Suhare variaient d’une
maison à l’autre, plus pour les unes, moins pour les autres, rien
pour certaines. Ces discriminations instaurées par ses
prédécesseurs, le prieur voulait les ériger en règle, et le
projet des habitants fut de les faire cesser par voie de justice et
de ramener le prieur à la coutume, règle souveraine, disaient-ils,
pour les prémices.
Quelques-uns
des prieurs avaient pour politique, disaient-ils d’intenter des
procès
à des particuliers incapables de faire valoir leurs droits, et
d’augmenter les obligations de certains redevables en
quantité et en qualité. Gélos et Pagardoy étaient poursuivis par
le prieur qui leur réclamait une grande quantité de grains, contre
l’usage et la pratique de ses prédécesseurs. D’où la nécessité
de fixer les prestations par un règlement tenant
compte de la coutume, d’une manière uniforme pour les maisons de
même classe, afin de faire cesser la bigarrure des prémices.
Ils
souhaitaient traiter à l’amiable, mais le prieur manifestait
l’intention de poursuivre son instance contre Gélos et Pagardoy,
et d’opérer de même contre les autres habitants. Il convenait de
saisir cette occasion et d’obtenir de la cour une fixation des
droits des prémices (6) frappant tous les habitants. La communauté
décidait d’intervenir et de s’opposer aux prétentions
exorbitantes et insolites du prieur.
Sur
quoi portaient ces premiers fruits? Gélos et Pagardoy parlent des
grains qui leur sont réclamés. Dans la mesure où les premiers
fruits et les fruits décimaux intéressaient les mêmes produits, on
sait par un contrat de vente des fruits décimaux de la maison
Etchart de Saint-Martin, que deux-ci comprenaient le 19 juillet 1636
le froment, le millet, l’avoine, les fèves, le lin, le vin de
haute branche, toutes sortes de grains, ainsi que la dîme des
chevaux, des agneaux, des cochons et des pommes.
Droits
honorifiques
Pierre
d’Eliceiry, gros décimateur et syndic des habitants, obtint un
arrêt conte le prieur dans une affaire de droits honorifiques, sans
rapport direct avec les droits de prémice, mais
imbriqués les uns aux autres dans l’action des protagonistes. Un
extrait d’audience du Parlement de Navarre du 1er
juin 1786 «entre
noble Pierre d’Eliceiry, gros décimateur et juge jugeant de
St-Martin de Lantabat, et le sieur Suhare, prieur dud. lieu de
Behaune»
résume les plaidoiries et les faits.
Par
droits honorifiques de la salle d’Eliceiry
dans l’église de Saint-Martin, Pierre d’Eliceiry, «une
des plus anciennes familles de Navarre»
recevait en premier le baiser du cierge bénit le jour de la
Chandeleur, il recevait aussi le premier le rameau bénit le jour des
Rameaux. Le prieur se dispensait d’observer la primauté des
honneurs le 2 février 1784. Il s’en excusait ensuite, prétextant
n’être pas suffisamment informé des usages, et promettant de s’y
conformer, ce qu’il fit le jour des Rameaux en 1784 et de la
Chandeleur en 1785. Mais le dimanche précédant les Rameaux en 1785,
il annonçait qu’il en supprimait la distribution, ce qu’il fit
malgré les prières des jurats et de Pierre d’Eliceiry de ne rien
innover. Celui-ci porta plainte et fit informer.
Le
prieur soutint dans
un acte du 5 mai 1786 n’avoir eu nulle intention d’injure. La
distribution des rameaux
n’était, selon lui, ni obligatoire, ni généralisée alentour.
Elle avait été supprimée aussi bien à Behaune qu’à
Saint-Martin, après avis du curé de Juxue, vicaire général, et
d’autres confrères, et personne ne s’en est plaint à Behaune.
Il l’avait remplacée par une procession et par une adoration de la
Croix. Si cela faisait grief à d’Eliceiry, c’était au juge
d’église de se prononcer.
Il
lui fut répondu qu’il
s’agissait d’un droit réel, reconnu par le prieur lui-même en
1784. Quand les jurats lui parlèrent à la sacristie, il invoqua ses
occupations, puis l’interdiction de la cérémonie par l’évêché,
puis à présent, l’interruption sur le conseil du vicaire général
et de ses confrères. La distribution des rameaux est bien en usage à
Saint-Etienne, à Asme, à Ostabat, etc. elle ne peut être supprimée
par sa propre autorité. Si personne ne s’est plaint à Behaune,
c’est que la mesure n’y touchait personne. La substitution
d’autres cérémonies n’a servi qu’à couvrir l’injure. Et
quand un curé supprime un rite incluant un droit réel et temporel,
on ne peut s’adresser
qu’au juge royal pour son maintien.
Sur
quoi, la cour donnant acte au prieur qu’il n’a pas entendu faire
injure, lui défendit cependant, ainsi
qu’aux autres
prêtres, de ne rien innover dans l’exercice et l’usage des
offices sans autorisation de l’évêque, préalablement publiée
aux formes ordinaires. Elle lui défendit, ainsi qu’à tous
religieux, de prendre d’autres qualifications dan les actes que
celle de frère et le condamna aux dépens. Sentence signifiée la 22
juin 1786 «au
lieu de Behaune en la baronnie de Lantabat, de la part de noble
Pierre d’Eliceiry, gros décimateur et juge jugeant de St-Martin
aud. Lantabat… au sieur Suhare prieur de ce lieu et de St Martin»
par
d’Etcheverry, huissier royal.
La
qualification de frère ordonnée par la cour rappelle la présence
des Prémontrés à Behaune. Un dernier acte, signifié de même par
ministère d’huissier en octobre 1788, met en scène les mêmes
protagonistes à propos du bois de Behaune et de la répartition du
prix de la glandée.
Considérant
qu’il ne saurait prendre assez de précautions vis-à-vis du
prieur, «disposé
à saisir les prétextes les plus frivoles pour l’inquiéter et le
tracasser»,
Pierre d’Eliceiry déclare vouloir prévenir toute chicane à ce
sujet, et lui renouvelle l’offre de 6 livres 4 sous 9 deniers,
revenant au prieur pour ses deux parts du prix de vente des glands.
Les
faits
relatif à la vente verbale des glands du bois de Behaune étaient
suffisamment clairs, disait-il, malgré les efforts du prieur pour
obscurcir la vérité. Ce prix lui a déjà été formulé de vive
voix pour éviter les frais, «à
raison de deux parts sur 53, à quoi est fixée sa portion sur la
glandée dud. bois».
Suivant
l’usage, le produit de la glandée devait être versé entre les
mains de Pierre d’Eliceiry,
et c’est à lui qu’incombait, suivant aussi l’usage, d’en
faire la répartition au prorata des parts. Le prieur refusait de
recevoir la somme, dépassant de quelques sous ce qui lui revenait,
il la déposa auprès du maître de Landetcheverri de Saint-Martin.
L’avant-dernier
prieur de Behaune, de Suhare, bénéficiait en octobre 1788 de deux
parts sur 53 que comportait la glandée. Avant lui, le prieur Marc
Antoine d’Eliceiry avait acquis pour son propre compte la plus
grande partie du bois par l’achat de 43 parts sur 51 appartenant,
selon l’abbé Charles d’Eliceiry, descendant de la famille, aux
51 propriétaires de la vallée par indivis. Les deux parts
prieurales additionnées aux 51 des maîtres des maisons
correspondaient aux 53 figurant dans la répartition de la glandée
de l’avant-dernier prieur.
Le
nombre des maisons, évalué à 20 en 1360-1353, au moment du
recensement pour l’impôt de monnayage, est différemment apprécié
dans
le mémoire d’Oihenart de la Salle, lieutenant général de la
Sénéchaussée de Navarre, mémoire concernant la Basse-Navarre et
ses justices, datable de la seconde moitié du XVIIe
siècle. Le seigneur de Luxe, revêtu de la Justice haute, moyenne et
basse, nommait un juge en chef, et tenait un bailli dans la vallée
de Lantabat. Aux cours ordinaires de la vallée assistaient avec le
bailli, les quatre gentilshommes
vassaux du seigneur de Luxe, les maîtres de maisons nobles Eliceiry
de Saint-Martin, Saint-Etienne et Haranburu de Saint-Etienne, et
Jauregi d’Azkongegi, plus les maîtres des anciennes maisons,
au nombre de 40 environ, tributaires d’un quart d’avoine de fief
chacune, et se disant juges jugeant du pays de Lantabat.
Dans
les archives de la maison Eliceiry de Saint-Martin, partiellement
sauvée par Mlle Pedebernard, nous avons trouvé 19 contrats de vente
de parts concernant le bois de Behaune, en faveur de Marc Antoine
d’Eliceiry, prieur de Behaune, à défaut des 43 acquises par lui
selon l’abbé Charles d’Eliceiry. A la Salle d’Eliceiry
appartenait par ailleurs le
bois bedat appelé Oyhanto, situé sur le territoire de la paroisse
de Saint-Martin,
et confrontant avec les terres d’Eliceiry, de Dendaletche et
d’Etchegoin.
Homme
d’église et homme d’affaire, Marc Antoine d’Eliceiry inaugure
avec éclat la liste des prieurs-curés connus de Behaune et de
Saint-Martin publiée par Haristoy: Marc Antoine d’Eliceiry
(1636-1697), Pierre d’Eliceiry (1697-1698), Bisquey (1698-vers
1702), Arnaud Domecq (vers 1702-1747), Moreau (1747-vers 1764),
Darrigol (vers 1764-1781), de Suhare (1781-1789), de Saint-Jayme
(1789-1791).
Marc
Antoine d’Eliceiry cumula pendant une quinzaine d’années la
charge de prieur-curé avec celle
de vicaire général de l’évêque de Dax dans son district de
Basse-Navarre. Sous le porche de l’église, la
dalle funéraire de la maison noble de Saint-Martin dont il était
originaire, porte témoignage d’une longue lignée : CI GIT
PIERRE D’ELICEIRY
22° HERITIER DE
LA MAISON
D.C.D. le 25 mars 1873 A L’AGE DE 79 ans P. P. L. (7).
L’incription
gravée sur le linteau de l’ancienne maison prieurale et
presbytérale de Behaune porte le nom de l’auteur, le prieur
Darrigol, et la date de la restauration:
1772
FLAMEN
– TECTA – REAEDIFICARE –
LABENTIA
– CURAT – AD – LAUDEM -
DOMINI
– DARRIGO – IPSE.SUI
«Le
prêtre Darrigol lui-même a soin de réédifier pour la gloire de
son Seigneur les toits tombant en ruine».
Au prieur de Saint-Jaymes revenait l’ultime direction du prieuré
de Behaune en 1789. Le hameau d’Azkonbegi en fond de la vallée a
perdu son saint patron. La statue vermoulue et morcelée de
Saint-Cyprien, restaurée à la feuille d’or dans tout son éclat à
la suite de l’exposition d’art sacré navarrais, a été emportée
par un
visiteur du cimetière et de la chapelle.
(1)
Archives d’Olce.
(2)
Archives de la maison
d’Eliceiry communiquées par Mlle
Pedebernard. Original signé d’Eliceiry, de Hontabat, Salejusan
Bertrand, avocat au parlement, habitant Saint-Palais, de Combe,
bourgeois et marchand de Bayonne, Goyeneche, notaire royal.
(3)
Archives départementales des Pyrénées-Atlantiques, Registre des
délibérations des Etats de Navarre, f° 269, p.1.
(4)
Archives départementales
des Pyrénées-Atlantiques, Registre des délibérations des Etats de
Navarre, f° 277,
p.1. Article pour
l’établissement d’un séminaire à Saint-Palais suivant la
fondation du feu Sieur prieur de Behaune.
(5)
Les prémices: sens ancien, premiers fruits de la terre, premiers nés
du bétail. Dans l’Antiquité, ces prémices étaient offerts aux
divinités (note de 2018).
(6)
Assistaient à cette assemblée: de Saint-Martin, noble Pierre
d’Eliceiry, seigneur du château d’Eliceiry, juge jugeant,
Gratian Ayçaguer Me d’Insursarry, et Erlande Etchebarne, Me de
Recalt, jurats; les Mes de Gélos, Pagardoy, Ituralde, Elgart,
Urrutigaray, Lacointeguy, Etchart, Ordoquy, Iribarne, Landetcheberri,
Delanuts, Berhouet, Otheguy, Bidart, Dindaletche, Larramendi,
Saldumbide, Lapits, Aguerreborde, Souhats Etcheberri, Bordart,
Arsapalo, Miquille, Perbin et Carricaburu.
(7)
Avec l’abbé Charles d’Eliceiry, son fils, professeur au collège
de Saint-Palais de 1847 à 1856, décédé le 24 novembre 1901 et
enterré séparément dans le cimetière, s’éteint la descendance.
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