Gaudeul enceintes protohistoriques Landibarren

Le Gazteluzahar
de Harribeltza

Général Francis Gaudeul
Extrait de Etude comparative des «gazteluzahar» de Juxue-Arhansus, de Suhescun-Lantabat et d’Ordiarp, Société des sciences lettres et arts de Bayonne, n° 130, 1974, pages 9 à 19.

Harribeltza ne porte aucun nom sur les cartes IGN. Il est appelé Ilharramunhoa par certains habitants; immédiatement à l’ouest de l’enceinte, on trouve sur la carte le lieu-dit Harribeltza dont nous avons utilisé le nom pour désigner l’ouvrage de la cote 522.
Situation topographique de Harribeltza. Cote: 522; coordonnées Lambert: 314,550-111,175; coordonnées polaires (à partir des églises et localités mentionnées): 2000 m nord-est de Suhescun; territoire communal: sur la limite des communes de Lantabat et de Suhescun.
Fig. 5: vue aérienne de l'ouvrage de Harribeltza.
Caractéristiques de Harribeltza.
+ Enceinte sommitale. Forme: ovoïde; périmètre: 550 m environ; grand axe: 220 m; petit axe: 130 m; largeur du fossé: 6 m; hauteur du parapet au-dessus du fossé: 5 à 6 m; longueur de l’escarpe (1) : 8 à 9 m.
+ Rempart avancé. Distance du rempart à l’enceinte: 42 m; longueur du rempart: 90 m; largeur du fossé: 10 m; hauteur au-dessus du fossé: 5 à 8 m; longueur de l’escarpe: 8 à 15m.
L'ouvrage de Harribeltza (fig. 5 et 6) diffère des précédents par la surface plus importante de l’enceinte sommitale. Mais celle-ci ne présente à la fois un parapet et un fossé que sur les faces est et sud-est. Le fossé est large, relativement profond et son rebord s’élève si nettement au-dessus du glacis extérieur qu’on pourrait croire à première vue à l‘existence d’un parapet, parallèle à celui de l’enceinte sommitale (fig. 7). Au sud, le fossé se transforme progressivement en un gradin qui finit d’ailleurs par disparaître, tandis que l’escarpe qui le domine, se confond peu à peu avec le flanc de la montagne.
Fig.: 6
Au nord, l’enceinte est bordée par un escarpement naturel qui pourrait avoir été artificiellement accentué en certains endroits. L’extrémité ouest de l’enceinte qui apparaît assez nettement sur les photos aériennes, est difficile à distinguer sur le terrain où elle se confond progressivement avec des escarpements et des blocs rocheux.
Le rempart extérieur qu s’élève au nord-ouest de l’enceinte sommitale, parallèlement à celle-ci et face au col 502, est imposant (fig. 7). Ses dimensions sont voisines de celles du rempart extérieur du Gaztelusare-Juxue. La pente de son escarpe est voisine de 60°. La largeur du parapet est de 1,50 à 2 mètres au sommet, comme celle du parapet de l’enceinte sommitale. Ce rempart s’abaisse à l’ouest jusqu’au niveau du faîte de l’escarpement dominant le chemin qui descend de 502 vers Suhescun. Par son extrémité orientale, il se raccorde progressivement à la pente naturelle du terrain, assez forte d’ailleurs, au-dessus du chemin descendant de 502 vers le sud. 
 
Un deuxième rempart s’élève à 50 mètres environ de l’angle sud-est de l’enceinte sommitale, face à la piste montant du col Haltzetako lepoa (cote 439) à 500 mètres au sud-est. Moins important que le premier, il est aussi plus simple et comprend de l’extérieur vers l’intérieur (fig. 8), un fossé de 0,80 à 1,20 mètre de profondeur et de 6 à 8 mètres de largeur; une escarpe de 6 à 8 mètres de long et de 5 à 6 mètres de haut, inclinée à 45% environ; un gradin qui ne se distingue pas toujours bien du glacis descendant de l’enceinte sommitale. Ce rempart de 60 à 75 mètres de long, disparaît progressivement à ses deux extrémités en s’incorporant au profil naturel du terrain. Le fossé de ce deuxième rempart tourne à angle droit vers le sud-est à hauteur de la piste menant au col 439 et longe celle-ci sur 120 mètres environ, avant de tourner à nouveau de 90° en direction du sud-ouest.
L’ouvrage de Harribeltza paraît avoir été protégé en direction du col 439 par deux obstacles éloignés, perpendiculaires à la piste montant de ce col vers 502 et à la ligne de crête qu’elle suit généralement. Ils sont constitués tous deux par des fossés de 6 à 8 mètres de largeur, de 1 à 1,50 mètre de longueur. Le premier se trouve à une centaine de mètres au nord-ouest du col, le second à 180 mètres environ au-delà du premier, en montant vers 502. Signalons enfin qu’un chemin creux, très visible sur les photos aériennes comme sur le terrain, malgré les broussailles qui l’ont-ouest de l’enceinte au chemin de Suhescun qu’il rejoignait près du léger coude que fait celui-ci à 100 mètres au nord de la cote 478 (450 mètres au sud-ouest de 522).
A travers les analogies et les différences que fait apparaître notre étude, trois faits essentiels dominent.
1. La remarquable unité de conception qui a présidé à l’aménagement de ces enceintes et qui résulte sans doute à la fois d’un instinct tactique très sûr et de méthodes identiques d’adaptation de la défense au terrain.
2. La complexité de ces ouvrages: autour de l’enceinte sommitale qui jouait probablement le rôle de réduit et qui seule retient généralement l’attention, un examen attentif décèle une grande variété d’ouvrages avancés qui avaient sans doute pour but, comme nous l’avons déjà dit, de retarder la progression de l’adversaire, de le maintenir le plus longtemps hors de portée de l’enceinte ultime et de décourager ses entreprises. Certes, la place et la forme de certains de ces ouvrages auxiliaires peuvent parfois nous dérouter mais, dans l’ensemble, ainsi que nous l’avons signalé dans d’autres cas (2), nous nous trouvons en présence d’ensemble intelligemment conçus et exécutés.
3. L’existence probable d’une organisation sociale vigoureuse: la réalisation et peut-être la coordination de tels ensembles devaient en effet exiger, d’une part une autorité individuelle ou collégiale pour les concevoir, puis pour en diriger la construction et éventuellement, la défense ; d’autre part, une main-d’œuvre relativement abondante et disposant d’un outillage adapté pour réaliser des constructions et des terrassements parfois très importants et des effectifs nombreux pour défendre des organisations d’un développement linéaire de plusieurs centaines de mètres, sur lesquelles il fallait vraisemblablement se battre au coude à coude et, peut-être, sur plusieurs rangs; enfin et surtout, une volonté collective de résister à tout envahisseur.
On trouvera fastidieux peut-être et d’une utilité discutable tous les détails que nous avons donnés sur les trois ensembles étudiés, comme antérieurement, sur des ouvrages analogues. Mais nous estimons qu’il faut faire connaître ceux-ci et que, si par malheur, ils devaient disparaître sous les coups puissants et aveugles d’un engin moderne de terrassement… comme d’autres ont déjà disparu, une description aussi précise que possible doit conserver leur souvenir.
Les enceintes du Pays Basque doivent être considérés comme de véritables monuments historiques, témoins muets mais émouvants d’une longue période encore inconnue, et probablement héroïque, de l’histoire de notre pays. Tous nos Gazteluzahar, même les plus modestes, méritent à ce titre d’être connus et jalousement conservés. Il est réconfortant et rassurant de constater que nos compatriotes, et tout particulièrement les jeunes, sont de plus en plus conscients aujourd’hui de l’intérêt que présentent les vestiges du passé et de la nécessité de les protéger et de les défendre.

(1) Escarpe: talus en terre ou maçonné qui borde le fossé du côté de la place fortifiée et fait face à la contrescarpe.
(1) L’enceinte d’Urchilo, Bulletin de la Société des sciences lettres et arts de Bayonne, n° 129, 1973.

+ Sur les enceintes protohistoriques en Pays Basque, voir l’article de synthèse de Francis Gaudeul: www.euskomedia.org/PDFAnlt/zainak/01/01017032.pdf


L'enceinte de Hocha handia

Francis Gaudeul
Société des Sciences lettres et arts de Bayonne, Nouvelle série n° 132, 1976, pages 12 à 16. Extrait de l'article Les enceintes protohistoriques du Pays Basque, présentation de huit nouvelles enceintes.
La vallée de Lantabat s’étire sur ne quinzaine de kilomètres depuis le carrefour de Luisenaldia, sur la C. D. 8, jusqu’au hameau d’Azkonbegi où elle se termine en cul-de-sac au pied du massif de Hocha handia. Elle est encadrée de toute parts par une ligne continue de crêtes dénudées, de parcours facile, dont l’altitude varie de 400 à 550 mètres. Outre le passage de Luisenaldia, deux cols franchis par des routes, permettent de sortir aisément de la vallée: le col d’Ipharlatze (328 mètres) à l’est, en direction d’Ostabat; le col des Palombières (337 mètres) au sud-ouest, en direction de Suhescun et d’Irissarry d’une part, de Jaxu, Lacarre et Saint-Jean-Pied-de-Port d’autre part.
Trois des principaux sommets qui dominent la vallée portent d’importants ouvrages protohistoriques: l’enceinte de Harribeltza (525 mètres) qui s’élève immédiatement à l’ouest d’Azkonbegi (1); l’ensemble fortifié de Gazteluzahar (472 mètres) dont les sept lignes de rempart s’échelonnent le long des pentes de la vaste croupe qui se dresse entre Larceveau et le hameau de Saint-Martin (2).
Nous examinerons aujourd’hui le troisième ouvrage, l’enceinte de Hocha handia (571 mètres) qui se développe autour du sommet de la longue croupe chauve dominant au sud-ouest le hameau dAzkonbegi.
L’ouvrage de Hocha handia ne possède ni la majesté, ni le relief des enceintes d’Elhigna et de Harribeltza ou de Gazteluzar de Larceveau. Il n’a pas non plus la complexité des deux dernières où un désir de protection et une science plus grande de l’art de la fortification semblent apparaître. L’enceinte de Hocha handia ne se développe que sur les pentes est, sud et sud-est du massif du même nom. Aucun terrassement n’existe sur les pentes ouest, nord-ouest et nord, c’est-à-dire dans les directions où la déclivité est très forte (45° à 65° environ). Les constructeurs ont vraisemblablement estimé que le terrain s’y défendait de lui-même, peut-être avec l’adjonction de palissades aujourd’hui disparues. L’ouvrage se présente donc comme une demi-ellipse dont la concavité est tournée vers l’ouest et le nord-ouest (fig. 1).
Fig. 1: l'enceinte de Hocha handia d'après une photo aérienne oblique.

L’effort de défense a été visiblement porté face à la crête montant du col d’Istilxarreta et que jalonnent les cotes 549,552 et 556: les ouvrages de Hocha handia et de Harribeltza semblent ainsi se faire face. Cet effort défensif se traduit par l’ampleur relative des fossés et des talus que l’on remarque du côté ouest et sud-ouest sur une longueur de 200 mètres environ, à partir de la ligne de crête, et se voient de loin. Mais au-delà, les terrassements sont beaucoup moins importants, parfois même difficilement visibles. On distingue toutefois l’ensemble des remparts sur une longueur de 780 mètres environ, longueur comparable à celle du gradin de l’enceinte sommitale de l’Ursuia, laquelle se déploie sur 720 m (3). La superficie comprise entre le rempart de Hocha handia et les côtés abrupts peut être estimée à plus de 4 hectares: c’est l’une des plus importantes que nous connaissions.
Entrons maintenant un peu plus dans les détails de l’ouvrage (fig. 1). Lorsqu’on suit la crête qui s’élève du col d’Istilxarreta (502 mètres) vers le nord (cote 549) puis vers le nord-est, on se heurte aux abords de la cote 552 à un fossé AB de 6 à 7 mètres de largeur, de 25 à 30 mètres de long, taillé dans la roche, qui barre la crête très étroite en ce point. Les constructeurs n’ont laissé subsister, juste au-dessus des pentes occidentales abruptes, qu’un isthme étroit de 4 à 5 mètres de largeur, dominé par les bords supérieurs du rempart. L’escarpe du rempart a 10 mètres de long en moyenne. Son sommet se trouve à 5 mètres environ au-dessus du fond du fossé. La contre-escarpe presqu’aussi haute que l’escarpe en A, s’efface progressivement et disparaît en B. A partir de ce point, le fossé se transforme donc en gradin.
A 160 mètres au-delà du A, une ouverture perce le rempart en C: c’était peut-être l’entrée de l’enceinte. Entre B et C, l’escarpe a une longueur de 10 à 12 mètres et une pente de 17 à 31°. Elle s’élève à 3 ou 4 mètres au-dessus du gradin, large de 6 à 7 mètres. Elle est surmontée par un petit parapet, derrière lequel s’étend une terrasse plane artificielle de 10 à 12 mètres de largeur. En D, à 220 mètres de A, le rempart s’efface complètement. Entre C et D, l’escarpe, bien marquée, a une longueur de 9 à 10 mètres, une pante de 25 à 30°, et domine de 4 à 5 mètres le gradin dont la largeur moyenne est de 6,50 mètres.
Arrêtons-nous un instant sur le mode de construction du rempart. Entre B et D, les déblais provenant du creusement du gradin ont été rejetés en amont, de manière à créer l’escarpe. Ce procédé, nous l’avons vu (2), a été utilisé également à Mokoretta et au Gazteluzahar de Larceveau. Entre et C, un apport supplémentaire est venu de l’amont, fourni par le nivellement de la terrasse que nous avions mentionnée plus haut. Il a permis de renforcer l’escarpe et de la surmonter d’un parapet.
En E, à 240 mètres de A, le rempart réapparaît, mais son mode de construction change. Le gradin aval disparaît et le rempart est désormais construit à l’aide des déblais provenant d’une terrasse (ou gradin) amont, continue de 7 à 8 mètres de largeur. Cet apport vers l’aval est souvent faible et on a parfois du mal à distinguer l’escarpe de la pente naturelle du terrain. La terrasse-gradin est plus visible et on la voit nettement entre les points situés d’une part à 420 mètres et 470 mètres de A et d’autre part à 720 et 780 mètres de ce même point A. Elle apparaît nettement et de bout en bout sur les photos aériennes.
Du point F, à 60 mètres de A, on aperçoit dans le prolongement d’un talweg, le hameau d’Azkonbegi, à 350 mètres plus bas. Au point G, à 780 mètres de A et à 60 mètres environ du sommet 571, le rempart s’arrête définitivement.
La longueur de l’espace compris entre le rempart et les pentes abruptes de l’ouest et du nord, mesurée le long de la ligne de crête, est de 615 mètres environ. Sa largeur est très variables de, elle est de 80 mètres à hauteur du point C, de 135 mètres à 300 mètres de A, de 185 mètres à 480 mètres de A, de 140 mètres à 720 mètres de A.
Signalons enfin que sur les pentes est de la croupe de Hocha handia, à proximité du carrefour de sentiers situé entre les cotes 435 et 342 (4), il existe un ensemble de fossés généralement perpendiculaires à la ligne de plus grande pente, qui paraissent avoir été creusés face au petit col de la cote 342. Il pourrait s’agir de défenses éloignées, d’avant-postes, destinés à retarder ou à intimider un agresseur se dirigeant vers l’enceinte sommitale. Nous avons d’ailleurs noté l’existence d’ouvrages éloignés analogues, lorsque nous avons décrit les enceintes d’Elhigna, de Harribeltza et le Gazteluzahar de Juxue-Arhansus. Un fossé analogue existe aussi aux abords de l’ouvrage de Idaux-Mendy.
*
Comme toutes les enceintes du Pays basque, l’enceinte de Hocha handia est admirablement placée. Elle domine la vallée de Lantabat et les plaines d’Iholdy et d’Irissarry. De son sommet, on aperçoit, non seulement les enceintes voisines de Harribeltza et de Larceveau, mais celles de l’Ursuia, de Lerdatze, de Kurku, d’Abarratia et de Mehaltzu. Cet ouvrage possède à la fois des parapets et des gradins, mais nous l’avons classé dans la catégorie des «enceintes à gradins» en tenant compte du fait que les remparts à gradins s’y développent sur une longueur très supérieure à celle des remparts à parapets, mais ces derniers, qui s’étendent de A à C, sont de beaucoup les plus complets et les plus puissants. La partie de l’enceinte ne comportant que des gradins s’étend de C à G, soit sur plus de 500 mètres. Elle paraît incomplète, inachevée et ses défenses semblent faibles et inefficaces. Il est vrai qu’en aval de celles-ci, les pentes sont très fortes. Elles varient de 35 à 45% environ, alors que la pente moyenne, entre le col d’Istilxarreta et le point A, mesurée le long de la ligne de crête, n’est que de 8%. Mais on voit mal comment elle aurait pu arrêter un assaillant décidé… à moins qu’elle n’ait été complétée et renforcée par une palissade.
Par ailleurs, lorsqu’on considère l’importance de la surface occupée par l’ouvrage de Hocha handia et la longueur de ses remparts, on arrive tout de suite à la conclusion que pour la défendre, il fallait beaucoup de monde, des centaines d’hommes probablement. On peut admettre toutefois que les constructeurs de l’enceinte ont donné à celle-ci des dimensions en rapport avec les effectifs susceptibles de s’y réfugier et de la défendre. Mais les mêmes questions se posent toujours: d’où provenaient ces effectifs importants? La région avoisinante était-elle plus peuplée que de nos jours (5)? Et combien de temps pouvaient vivre et lutter tous ces réfugiés et tous ces combattants sur de tels sommets et dans de tels ouvrages? Nous sommes encore bien loin de répondre de manière satisfaisante à de pareilles questions.
Juin-juillet 1976.

  1. Bulletin de la Société des sciences lettres et arts de Bayonne, n° 130, 1974.
  2. Bulletin de la Société des sciences lettres et arts de Bayonne, n° 131, 1975.
  3. Bulletin de la Société des sciences lettres et arts de Bayonne, n° 128, 1972.
  4. Coordonnées 315.550 – 112.000, carte au 1/25.000, Iholdy, feuille 7/8.
  5. La population actuelle de la commune de Lantabat est de 339 habitants (recensement de 1975).
+ Escarpe: talus en terre ou maçonné qui borde le fossé du côté de la place fortifiée et fait face à la contrescarpe.

+ Sur les enceintes protohistoriques en Pays Basque, voir l’article de synthèse de Francis Gaudeul: www.euskomedia.org/PDFAnlt/zainak/01/01017032.pdf


L'ensemble fortifié du 

Gazteluzahar de Larceveau

Francis Gaudeul
Société des Sciences lettres et arts de Bayonne, Nouvelle série n° 131, 1975, pages 19 à 27.

Lorsque venant du col d’Ipharlatze (1) qui relie la région d’Ostabat à la vallée de Lantabat, on atteint 750 m. au sud sud-ouest de ce col le sommet de Bertugaine (400 m.) et l’on aperçoit devant soi, en direction du sud-ouest, le sommet du Gazteluzahar (2) que surmonte une grande antenne de télévision et qui domine le village de Larceveau. Si le soleil se trouve vers le sud ou le sud-ouest, on peut remarquer qu’une série de terrassements, semblables à des remparts, se détachant à contre-jour, s’étagent le long de la ligne de crête qui conduit du col 357 à une croix de ciment, bien visible à gauche et au-dessous de l’antenne, puis de cette croix au sommet même du Gazteluzahar (fig. 1).
Fig. 1: le Gazteluzahar de Larceveau, vu du nord (d'après une diapositive).

Si après être descendu au col 357, on remonte la ligne de crête d’abord en direction de la croix, puis en direction de l’antenne, on rencontre successivement six remparts.
1. A 300 mètres environ au sud du col, un premier rempart barre la crête. Ce rempart comporte deux branches. La première sensiblement orientée du nord-ouest vers le sud-est, a une longueur de 170 m à 180 m. Elle comprend un talus de 2,50 mètres de hauteur environ, incliné à 30° sur le plan horizontal et précédé d’un fossé peu profond de 6 mètres de largeur en moyenne; l’escarpe a une longueur de 6 mètres en général, réduite parfois à 4,50 mètres (3).
La deuxième, perpendiculaire à la première branche à son extrémité ouest, est orientée du nord-est vers le sud-ouest et domine les pentes qui descendent rapidement vers le quartier Saint-Martin de Lantabat. Sa longueur est de 120 mètres environ. Ses autres caractéristiques sont analogues à celles de l’autre branche. Cette deuxième branche est invisible pour un observateur suivant la ligne de crête et elle nous a été révélée par une photo aérienne, mais on la retrouve facilement sur le terrain quand on connaît son existence.
2. A 380 mètres environ au sud sud-est du premier rempart, se dresse un deuxième rempart, orienté est-ouest. Long de 85 mètres environ, il comporte un talus de 3 mètres de haut, incliné à 30°, précédé d’un fossé peu profond de 5 mètres de largeur en moyenne. La longueur de l’escarpe oscille autour de 5,50 m. Au-delà du deuxième rempart, la pente générale du terrain croît sensiblement.
3. 65 à 70 mètres plus loin, on se heurte au troisième rempart. Orienté tout d’abord d’est en ouest, il s’infléchit progressivement vers le sud-ouest. Il se développe sur une longueur totale de 125 mètres, avant de disparaître vers le sud-ouest sous une épaisse végétation, tout en se raccordant progressivement à la pente naturelle du terrain, de plus en plus forte de ce côté-là. Ce troisième rempart est beaucoup plus important que les deux premiers. Précédé par un fossé ou un gradin dont la largeur est en général de 5 mètres, mais atteint près de 9 mètres aux abords du changement de direction, sa hauteur est 4 à 5 mètres environ; l’escarpe a une longueur de 8 à 10 mètres et une pente de 30°.
4. A 100-110 mètres environ au sud et au dessus du troisième rempart, s’élève en quatrième rempart, encore plus important que le troisième. Il est surmonté par la croix de ciment qui nous a servi jusqu’ici de point de direction. Le talus atteint 5,50 mètres de hauteur aux abords de la croix et dépasse 5 mètres presque partout ailleurs. La longueur de l’escarpe est au moins égale à 9 mètres. Elle atteint 13 mètres à hauteur de la croix, sa pente est de 30°. Au pied du rempart, s’étend un gradin ou un fossé peu profond, dont la largeur varie de 5 m à 7 m. De part et d’autre de la croix, ce quatrième rempart s’infléchit et se redresse rapidement vers le sud-ouest en deux branches sensiblement parallèles, de 200 m. de longueur environ, qui se raccordent à leur extrémité avec le rempart enveloppant l’enceinte sommitale (sixième rempart). La branche sud est beaucoup moins nette sur le terrain que la branche nord.
5. A 180 mètres de la croix, en remontant la ligne de crête en direction générale de l’antenne, on atteint un cinquième rempart encadrant une rampe rocheuse ménagée qui permettait d’accéder à l’intérieur de l’enceinte sommitale à travers les cinquième et sixième remparts. Ce cinquième rempart est court, sa longueur totale ne dépassant pas 100 mètres. Il comprend un fossé de 5 mètres de largeur environ, creusé dans la roche schisteuse, de part et d’autre de la rampe ; ce fossé se transforme progressivement en gradin, tout en se rétrécissant à mesure qu’on s’éloigne de la rampe en direction du nord-ouest. Il est surmonté par un talus de 5 mètres de haut incliné à 30° et dont l’escarpe, mesurée à 20 mètres au nord-ouest de la rampe, atteint 10 mètres de longueur. Le cinquième rempart se raccorde au quatrième par ses deux extrémités.
Fig. 2: ensemble fortifié de Gazteluzahar de Larceveau, d'après une photo aérienne.

6. Immédiatement après avoir franchi le cinquième rempart, la rampe traverse le sixième rempart qui enveloppe la plate-forme sommitale, tout en prolongeant le quatrième rempart par sa partie occidentale. Fig. 2). Cette plate-forme a la forme d’un haricot allongé. Sa plus grande hauteur est de 156 mètres environ. Sa largeur, aux abords de son centre, varie de 40 m à 43 m. Son périmètre est compris entre 430 m et 440 m. Sa superficie peut être évaluée à 0 ha 50. La plate-forme est entourée par un rempart dont les caractéristiques sont très variables.
A l’est, l’escarpe très importante atteint 15 à 20 mètres de long, immédiatement au nord de la rampe. Son sommet domine d’une dizaine de mètres un gradin incliné vers l’aval qui se raccorde insensiblement avec l’escarpe du cinquième rempart.
Au nord, l’escarpe a une longueur de 10 mètres, mais le gradin devient très étroit et finit par disparaître. L’escarpe se confond alors avec la pente naturelle du terrain, très forte de ce côté (30° et parfois plus).
A l’ouest, le rempart prend son extension la plus grande, sans doute parce que la pente du terrain est plus faible de ce côté-là (21%, 12° environ). Le fossé large de 9 mètres, est bordé du côté aval par une courte contre-escarpe, bien visible sur une longueur de 45 à 50 m (fig. 3). Le talus incliné à 30°, s’élève à 8 mètres au-dessus du fossé, l’escarpe ayant 14 mètres de long. Son faîte domine de 70 à 80 cm l’intérieur de l’enceinte, formant ainsi un parapet d’une cinquantaine de mètres de long.
Fig. 3: extrémité ouest de l'enceinte sommitale (coupe est-ouest).

Au sud, le fossé est devenu un gradin de 9 à 10 mètres de largeur. Le talus dont la longueur de l’escarpe oscille entre 12 et 14 mètres, atteint 6 mètres de hauteur et la pente diffère peu de 30°. Cette partie du rempart a été éventrée par un mauvais chemin qui conduit au relais de télévision, ce qui a permis à M. Jean-Luc Tobie de recueillir là des débris de poterie remontant, les uns aux 2e et 1er siècles avant J.-C, les autres aux 3e et 4e siècle après J.-C. Il est donc possible que les gradins du côté sud, bien abrités des vents dominants, aient supporté un habitat humain à deux périodes différentes, la plus ancienne n’étant pas forcément contemporaine de la construction de l’ensemble fortifié (4).
Fig. 4: enceinte sommitale, coupe sud-nord à environ 10 mètres à l'ouest du sommet.

On peut remarquer enfin que la plate-forme sommitale est divisée en trois terrasses sensiblement horizontales, limitées par des dalles verticales alignées parallèlement au grand axe de la plate-forme. Le premier alignement de dalles se trouve à 4 mètres au nord du bord sud, le deuxième à 20,50 mètres environ (fig. 4). L’alignement des ces dalles correspond aux plissement naturels du terrain, mais leur dégagement et l’aménagement des terrasses ont certainement été réalisés par la main de l’homme, peut-être en vue de faciliter l’installation des occupants de l’enceinte sur cette plate-forme balayée par les vents. Une fouille systématique du sol de ces terrasses et du gradin immédiatement au sud de la plate-forme sommitale pourrait apporter des éléments intéressants et compléter les précieux renseignements recueillis par M. Jean-Luc Tobie.

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Le tableau ci-après résume les caractéristiques essentielles des remparts que nous venons de décrire.
On remarquera tout de suite que l’importance des remparts (hauteur et longueur de l’escarpe) croît en général à mesure que l’on se rapproche du sommet. Cela est particulièrement sensible pour les quatrième et sixième remparts, le cinquième n’ayant qu’un rôle secondaire. La pente des escarpes est curieusement constante. A 1 ou 2 degrés près, elle est toujours de 30°, soit de 55 à 60%, alors que la pente naturelle du terrain, mesurée de long de la ligne de crête, est en moyenne de 10,5% entre le col 357 et le sommet 472.
Si du côté nord comme du côté sud, le Gazteluzahar était facile à défendre en raison de la forte pente du terrain, il n’en était pas de même du côté ouest où se prolonge la ligne de crête que nous avons suivie du col 357 au sommet 472. Mais les constructeurs de l’ensemble défensif, estimant sans doute que le danger était moins grand du côté occidental que dans la direction du col 357 et du col d’Ipharlatze, se sont contentés d’ériger un seul rempart dans cette direction.
Ce septième rempart se trouve à environ 200 mètres à l’ouest sud-ouest du sommet de Gazteluzahar et à l’altitude 420 mètres, soit 50 mètres environ au-dessous du niveau de ce sommet. Long de 140 mètres environ, il barre la crête face à l’ouest (fig. 5). Il se compose d’un fossé peu profond de 5 mètres de largeur environ, dominé du côté amont par un talus de 2 à 2,50 m. de haut. L’escarpe, d’une longueur de 6 à 8 m., est inclinée de 20° en moyenne. Ce rempart est placé dans le col, peu marqué, qui sépare la cote 419 (5) des pentes occidentales de Gazteluzahar, de sorte qu’un assaillant venant de l’ouest n’aurait pu le découvrir qu’en débouchant du mamelon 419, alors qu’il ne se trouvait qu’à une centaine de mètres du rempart.
Fig. 5: rempart ouest, d'après une diapositive.

On peut se demander si les constructeurs du rempart n’auraient pas sciemment recherché un tel effet de surprise par l’utilisation astucieuse de la contre-pente, comme on l’a si souvent fait dans les temps modernes.

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La description que nous venons de donner de l’ensemble fortifié de Gazteluzahar de Larceveau montre son importance et sa complexité. Encore n’avons-nous signalé que l’essentiel. Il existe en effet divers terrassements secondaires ou douteux que nous avons volontairement laissés de côté. Nous mentionnerons tout de même deux d’entre eux.
  1. Un fossé reliant les abords de l’extrémité orientale du troisième rempart à un point du deuxième situé à 35 mètres environ de son extrémité occidentale: ce fossé constituait semble-t-il, une bretelle entre les deuxième et troisième remparts.
  2. A 60 mètres environ en aval au nord du premier rempart, une ride rocheuse soulève le sol, perpendiculairement à la ligne de crête. De loin, on pourrait prendre cette ride pour un rempart. Il n’en est rien, mais l’extrémité occidentale de cette ride semble avoir été entaillée et aménagée pour constituer un obstacle en avant de la partie correspondante au premier rempart.

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Le vaste ensemble de Gazteluzahar s’étend sur une longueur de 1100 mètres, cette distance étant mesurée le long de la ligne de crête entre le premier et le septième rempart. Tous ces remparts semblent avoir été édifiés de la même façon: les déblais enlevés du fossé étaient rejetés en amont pour former le talus dont l’escarpe et le faîte étaient ensuite ajustés avec soin. Les blocs rocheux et les dalles arrachés les derniers du fond du fossé, se trouvaient ainsi placés au sommet du rempart et à la surface de l’escarpe, où il paraît surprenant, à première vue, de les voir recouvrir la terre végétale. Il est possible que ces dalles et ces blocs aient été, à l’origine, soigneusement assemblés sur le faîte et le flanc du rempart, peut-être pour mieux maintenir la terre meuble.
Les premier, deuxième, troisième et septième remparts sont discontinus. Ils n’avaient probablement à l’égard d’un agresseur qu’un rôle dissuasif ou retardateur. Mais la véritable enceinte était constituée par l’ensemble continu des quatrième et sixième remparts engobant une surface de l’ordre d’un hectare. La plate-forme sommitale, protégée par le puissant sixième rempart apparaît comme le réduit, le donjon de cet ensemble, le cinquième rempart pouvant jouer aussi bien le rôle de «chemise» de ce donjon, que celui de barbacane défendant l’accès au réduit. Quant à l’espace compris entre les quatrième et sixième remparts, il peut se comparer aux «basses-cours» des châteaux féodaux.
De la plate-forme supérieure de Gazteluzahar, on voit parfaitement vers l’ouest nord-ouest les enceintes fortifiées de Harribeltza (ou Ilharramunhoa) et de Hocha handia qui dominent comme lui la longue vallée en cul de sac de Lantabat, laquelle semble avoir constitué jadis un petit monde à part, bien protégé et isolé par ses montagnes et ses fortifications. On aperçoit aussi vers le sud-est l’enceinte de Mehaltzu qui domine le col d’Osquich et en direction du nord, celles d’Elhigna et de Lerdatze (vers Armendarits), d’Abaratia (vers Isturits) et l’enceinte sommitale de l’Ursuya. Peut-on exclure l’hypothèse que ces enceintes ou certaines d’entre elles aient constitué un réseau de surveillance et d’alerte aux époques des grandes invasions? Nous ne le pensons pas…
Quoiqu’il en soit, nous sommes en présence avec Gazteluzahar, d’un ensemble fortifié impressionnant, homogène, bien étudié et dont l’exécution qui a dû exiger beaucoup de travail, a été certainement bien dirigée et coordonnée. Le seul fait que les pentes de toutes les escarpes aient été si uniformément et avec tant de précision, inclinées à 30° ne peut que donner à réfléchir.

(1) Hauteur: 328 m. Coordonnées: 321,750 -- 112,300. Carte au 1/25.000e de l’IGN Iholdy, feuille 7/8.
(2) Hauteur: 472 m. Coordonnées: 320,500 – 110,500. Même carte que ci-dessus.
(3) Toutes ces mesures, comme celles qui suivent, ont été effectuées avec soin. Mais compte tenu de l’atténuation des formes due à l’érosion, au tassement des talus, au colmatage des fonds, etc., il est souvent difficile de savoir où commence et où finit un rempart, une escarpe, un fossé, etc., et même de suivre exactement une ligne de crête lorsque celle-ci appartient à une croupe aux formes larges comme celle qui s’étend du col 357 au troisième rempart. Nos mesures ne peuvent être d’une précision parfaite.
(4) Jean-Luc Tobie, Imus Pyrenaeus et le pays de Cize, Bordeaux 1971.
(5) Coordonnées 320,100 – 110,375. Carte au 1/25.000, Iholdy, feuille 7/8.

+ Escarpe: talus en terre ou maçonné qui borde le fossé du côté de la place fortifiée et fait face à la contrescarpe.
+ Sur les enceintes protohistoriques en Pays Basque, voir l’article de synthèse de Francis Gaudeul:
www.euskomedia.org/PDFAnlt/zainak/01/01017032.pdf

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